Le créateur de Fortnite peut-il venir à bout du modèle Apple ?

Le procès qui oppose, depuis lundi et pour trois semaines, Epic, le créateur de Fortnite, à Apple porte sur la commission que le créateur de l'iPhone prélève sur les transactions effectuées dans chaque application. Mais il menace aussi tout le modèle économique autour duquel la marque à la pomme a construit son empire.

 

Epic veut dénuder le roi Apple. La bataille judiciaire qui débute lundi 3 mai aux États-Unis, entre le concepteur du très populaire jeu Fortnite et le créateur des tout aussi populaires iPhone n'est pas qu'une affaire de gros sous. "C'est tout le modèle économique d'Apple qui est en jeu devant le tribunal de Californie", résume Ben Eaton, spécialiste de l'économie numérique à l'École de commerce de Copenhague, contacté par France 24. 

Sur le papier, il ne s'agit pourtant que d'un chiffre : 30 %. Epic a déposé plainte, en août 2020, contre Apple pour contester le montant de cette commission prélevée sur chaque transaction dans son jeu phare par la marque à la pomme. 

La grande méchante "taxe Apple"

Les montants en jeu sont importants. Tous les mois, les joueurs dépensent environ 34 millions de dollars en achats de bonus variés et divers ou de costumes pour leurs personnages de Fortnite, rappelle le Financial Times. À chaque fois qu'ils passent ainsi une commande virtuelle, Apple récupère 30 % du prix.

 

Epic, qui distribue gratuitement Fortnite sur smartphone et dépend donc exclusivement de ces achats, trouve cette "taxe Apple" inacceptable. Le studio de développement de jeux vidéo a donc décidé, l'an dernier, de piéger le géant californien. Il a proposé aux joueurs, début août, de ne pas passer par l'App Store pour leurs achats, mais d'utiliser une plateforme mise en place par Epic sur laquelle il pratiquait des tarifs plus avantageux.

Une démarche contraire aux règles qu'Apple impose à tous les développeurs qui veulent commercialiser une application sur iPhone. Et ce qui devait arriver arriva : le jeu Fortnite s'est retrouvé banni de l'App Store du jour au lendemain et, dans les minutes qui ont suivi, Epic a dégainé une plainte de 65 pages arguant qu'Apple abusait de sa position dominante. 

Apple se défend en accusant Epic de se servir de la popularité de son jeu phare pour faire chanter la marque à la pomme et obtenir un traitement de faveur. Que nenni, a répondu Tim Sweeny, le PDG d'Epic, qui a assuré, à l'occasion de multiples interviews, agir "pour réparer une injustice". 

Depuis le début des hostilités, cet entrepreneur se drape ainsi des habits du chevalier blanc qui défend les intérêts des petits développeurs face à l'ogre Apple. Epic a même mis en place une cellule "Liberty" au sein du groupe chargée de prêcher la bonne parole sur les réseaux sociaux, dans les médias américains et auprès des régulateurs américains ou européens. Le développeur a aussi rallié à sa cause des grands noms du secteur, comme Microsoft et Spotify, dont des responsables vont venir témoigner lors du procès.

Une plainte dans l'ère du temps

Le but de ces rebelles des plateformes d'application n'est pas seulement de contester la commission de 30 %. "C'est une remise en cause du contrôle qu'Apple exerce sur son écosystème", explique Ben Eaton, l'économiste de l'École de commerce de Copenhague. 

Ces sans-culottes de l'App Store reconnaissent, en effet, à Apple le droit mener sa boutique d'applications comme il l'entend, mais "tout l'enjeu de ce procès est de savoir si des développeurs comme Epic peuvent proposer sur iPhone des alternatives à l'App Store pour distribuer leurs produits sur les terminaux Apple", note Ben Eaton.

Ce serait alors le début de la fin de ce qui a si longtemps fait la singularité d'Apple face à ses concurrents, à commencer par les smartphones Android (le système d'exploitation de Google, utilisé par des marques comme Samsung, Huawei et d'autres). Sur ces téléphones, il est possible de télécharger des applications sans passer par la boutique officielle de Google (Play Store). 

Les règles très strictes érigées par la marque à la pomme ont toujours été présentées comme la garantie que l'App Store était plus sûr que les autres magasins d'applications, était plus facile à utiliser et proposait des applications de meilleure qualité. 

"C'est à la fois ce qui a fait la réputation de l'iPhone, mais aussi ce qui a cristallisé le plus de critiques", souligne le Financial Times. Et l'offensive d'Epic n'est pas la première tentative de réduire le contrôle d'Apple sur son écosystème. Le groupe californien "se défend contre ce type d'attaque depuis la sortie du premier iPhone en 2007", rappelle Ben Eaton. La création même de l'App Store, en 2008, "était une réaction d'Apple au fait que les développeurs proposaient constamment de 'jailbreaker' (débrider) les premiers iPhone sur lesquels on ne pouvait absolument pas installer d'autres programmes que ceux d'Apple", ajoute ce spécialiste.

Jusqu'à présent, la marque à la pomme a toujours réussi à défendre son modèle économique ou à faire des concessions qui ne remettent pas en cause le contrôle exercé sur l'écosystème. Mais Epic a un avantage sur tous ceux qui se sont cassé les dents en partant à l'assaut de cette forteresse : le créateur de Fortnite "aurait difficilement pu choisir un meilleur moment pour s'attaquer à Apple", assure Ben Eaton.

Les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) se retrouvent de plus en plus souvent sur le banc des accusés pour répondre d'accusation d'abus de position dominante. Le risque de voir ces géants de la tech se transformer en monopole que plus rien ne peut arrêter est de plus en plus pris au sérieux, même au sein de l'administration américaine. Epic peut donc espérer surfer sur cette vague pour convaincre le juge californien.

Apple a parfaitement conscience du risque. Ce n'est pas un hasard si Tim Cook, le PDG d'Apple, viendra en personne témoigner lors du procès. Ce sera la première fois que le grand patron en personne descendra dans l'arène judiciaire pour défendre les intérêts de son groupe.


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