Le virus du sida occulté par la pandémie de Covid-19

Ce mardi 1er décembre, c'est la Journée mondiale de lutte contre le sida. La pandémie est toujours aussi virulente et malgré des progrès enregistrés, les objectifs sont loin d'être atteints. Une situation aggravée par le Covid-19 qui fait même craindre un rebond.

Les programmes de prévention et de détection, d'accès aux traitements, les financements ont été mis à mal par la pandémie de coronavirus. Afp/AFP/Archivos

 

L'an dernier, 1,7 million de personnes ont été contaminées par le VIH/sida. Ce sont ainsi 38 millions de personnes dans le monde qui cohabitent avec le virus. Sous traitement, on peut très bien vivre avec : s'il est suivi et que la charge virale est indétectable. Les malades ne sont plus contagieux et peuvent mener une vie normale.

Mais voilà, encore faut-il connaître son statut et avoir accès à ces traitements.  Et si des progrès sont enregistrés, ils sont bien trop lents, notamment chez les populations clé, LGBT, usagers de drogue, prisonniers, travailleurs du sexe. Stigmatisées, ces elles sont trop souvent exclues des parcours de soin et concentrent à elles seules plus de 60% des nouvelles contaminations.

Retards dans la détection et l'accès aux traitements

À plus grande échelle, huit malades sur dix du du VIH/sida ont été dépistés, sept sur dix ont accès aux traitements et six sur dix contrôlent la maladie. Ce n'est pas suffisant pour espérer mettre fin à la pandémie en 2030, l'objectif de la communauté internationale. Chaque jour qui passe nous en éloigne un peu plus et le Covid-19 accentue cette tendance. En France comme dans les autres pays, le coronavirus a quelque peu occulté le sida. Les programmes de prévention et de détection, d'accès aux traitements, les financements ont été mis à mal par la pandémie, même si lors des périodes de confinement, les comportements à risque ont diminué.

La prise en charge des personnes nouvellement diagnostiquées a également pâti de la crise sanitaire. « On a eu une baisse drastique de l’accès aux tests VIH pendant la première phase de confinement– moins de 50% –, donc on a perdu à peu près 650 000 dépistages du VIH, souligne le Professeur Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Tenon à Paris, interrogé par Valérie Cohen. Et le plus inquiétant, c’est que cette perte pendant le confinement n’est pas rattrapée après totalement. On est encore à moins 15% dans la période entre les deux confinements. On sait aussi qu’il y a eu une baisse des initiations de prophylaxie pré-exposition (PrEP) qui a été importante aussi avec environ 36% de diminution de délivrance pendant le confinement, là non plus qui n’ont pas été rattrapées en post-confinement. Donc, c’est effectivement une inquiétude. Et on constate aussi un certain nombre de retards au démarrage des traitements antirétroviraux parce que c’est très difficile d’initier un traitement par téléconsultation, il manque un peu cette dimension à la fois humaine et pluridisciplinaire qui fait qu’on démarre un traitement. »

Des virus qui s’additionnent

Pour ces raisons, l'Onusida craint d'observer une surmortalité l'an prochain. D’autant qu’un patient séropositif peut bien sûr également être infecté par le Covid-19.Les données scientifiques sont pour l’heure parcellaires. Mais il semble que la co-infection VIH-coronavirus ne soit pas forcément délétère. Cela dépend surtout de l’état du système immunitaire, cible du VIH, mais qui peut être restauré par des traitements antirétroviraux.

« Les inquiétudes sont pour une partie des patients VIH, qui n’ont pas accès aux traitements, très immunodéprimés et qui rejoignent finalement les autres immunodéprimés qui auront effectivement un sur-risque d’avoir des formes plus sévères du Covid », explique le Pr Gilles Pialoux.

Cependant, les maladies cardio-vasculaires sont plus fréquentes chez les personnes séropositives et elles constituent un sur-risque vis-à-vis du Covid-19. « Les pathologies cardiovasculaires sont plus souvent associées dans le VIH puisque se mélange un certain nombre de facteurs de risques cardiovasculaires. Certains sont classiques comme le tabac, la sédentarité. Et effectivement, le VIH en lui-même est lié à l’inflammation chronique et aux troubles métaboliques qui l’annoncent », indique le Pr Gilles Pialoux.

Autre problème, le diabète, qui augmente la probabilité de faire une forme grave de Covid-19 : « On a effectivement, surtout dans des populations qui ont été traitées longtemps avec les antirétroviraux de première génération, une augmentation du diabète qui est clairement un facteur de risque important de passage aux formes graves. »

Plusieurs études sont en cours pour évaluer plus finement les risques de la co-infection VIH-nouveau coronavirus.

On a montré avec la lutte contre le sida, qu’une personne dépistée n’a pas le même comportement de prévention qu’une personne qui ignore son statut. Or, on n’a pas appliqué cela au Covid, c’est-à-dire qu’on n’a pas compris, en France par exemple, que la politique de dépistage était un outil de prévention.

Le Pr. Pialloux regrette que la pandémie qui dure depuis 40 ans n’ait pas servi à nous apprendre des choses qui auraient permis de lutter plus efficacement contre le coronavirus, en France notamment.

On n’a pas tiré les leçons du sida concernant le dépistage, alors qu’on sait que c’est le premier outil de prévention, note-t-il d’abord. « Collectivement, les politiques, l’opinion publique, n’ont pas tiré les leçons du VIH. Le premier exemple, c’est qu’on a montré avec la lutte contre le sida, qu’une personne dépistée n’a pas le même comportement de prévention qu’une personne qui ignore son statut. C’est quelque chose qui a été documenté dès les années 1990. Or, on n’a pas appliqué cela au Covid, c’est-à-dire qu’on n’a pas compris, en France par exemple, que la politique de dépistage était un outil de prévention. Le dépistage est un outil de prévention. On le sait, mais on ne l’a pas appliqué au Covid, donc on a loupé pendant la première vague, faute de tests, faute de politique de dépistage en France, cette première clé qui est celle du dépistage. Ça, c’est le premier élément. Et le deuxième élément, c’est la place de ce qu’on a appelé la "démocratie sanitaire", c’est-à-dire que partout, au Nord comme au Sud, en Afrique comme aux États-Unis, les patients experts, les associations de lutte contre le sida ont apporté énormément au développement de la recherche, au développement des mesures de prévention. Et là, en France en tout cas, le Covid c’est une discussion entre scientifiques et politiques. Et la société civile est totalement exclue du débat. »

Même si l'épidémie recule, elle est encore loin d'être éradiquée, notamment en Amérique latine, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, en Europe de l'Est et en Asie centrale. Dans ces deux dernières régions, des initiatives positives ont quand même émergé à la faveur de l'épidémie de coronavirus.

On a vu tout d’un coup ces énergies se libérer et on a vu des subventions d’Etat ou des sponsors privés, notamment des oligarques en Russie, financer des organisations non gouvernementales pour assurer l’arrivée de selftests [autotests].

 


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