Liban: les exigences des partis chiites retardent la formation du gouvernement

Le délai de deux semaines convenu entre Emmanuel Macron et les forces politiques libanaises a expiré ce mardi 15 septembre sans que le nouveau gouvernement ne voit le jour. Soumis à de fortes pressions, les partis chiites ont durci leurs positions.

De gauche à droite: le président du Parlement Nabih Berri, le président Michel Aoun et le nouveau Premier ministre Moustapha Adib, le 31 août au palais présidentiel à Beyrouth. REUTERS/Mohamed Azakir

Deux semaines après avoir été chargé de former le nouveau gouvernement, le 31 août, Moustapha Adib n’a toujours pas présenté son équipe au chef de l’État, Michel Aoun. Ce lundi 14 septembre, il s’est rendu au palais présidentiel les mains vides, sans l’enveloppe contenant les noms des ministres et la répartition des portefeuilles, que les Premiers ministres remettent habituellement au président. Il est ressorti quelque temps plus tard pour annoncer laconiquement aux journalistes la poursuite des concertations.

Le délai de 15 jours convenu entre les principaux partis politiques libanais et le président français Emmanuel Macron, lors de sa visite à Beyrouth le 1er septembre, pour former un gouvernement, touche à sa fin. Le Quai d’Orsay l’a rappelé ce lundi : « La priorité doit aller à la formation rapide d'un gouvernement de mission qui puisse mettre en œuvre les réformes indispensables au relèvement du pays, affirme le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué. L'ensemble des forces politiques ont souscrit à cet objectif. Il leur revient de traduire sans tarder cet engagement en actes. »

 

Les chiites convoitent le ministère des Finances

Le Premier ministre désigné s’est très vite heurté aux réalités du système confessionnel libanais. Le principal obstacle est venu du mouvement Amal et du Hezbollah. Les deux grands partis chiites exigent que le ministère des Finances, dirigé depuis 2014 par des ministres nommés par Amal, leur soit une nouvelle fois dévolu, sans quoi ils ne participeront pas au gouvernement et ne lui accorderont pas la confiance au Parlement.

Le « tandem chiite », termes qui désignent au Liban l’alliance indéfectible entre le Hezbollah et Amal, affirme que la signature apposée par le ministre des Finances sur tous les décrets, aux côtés de celles du président de la République maronite et du Premier ministre sunnite, lui assure un partenariat complet dans ce pays, où toutes les fonctions politiques et postes administratifs sont répartis sur des bases confessionnelles.

Cependant, Moustapha Adib ne semblait pas enclin à suivre cette règle, qui n’apparaît d’ailleurs nulle part dans la Constitution. Le Premier ministre désigné privilégiait la rotation des postes ministériels au sein d’un gouvernement restreint de 14 membres, et souhaitait nommer des ministres « indépendants » sans se concerter avec les partis politiques.

L’argument avancé par le tandem chiite pour s’accrocher au ministère des Finances ne convainc pas de nombreux Libanais, y compris parmi ses alliés. Dimanche 13 septembre, Gebran Bassil, leader du Courant patriotique libre (CPL) et gendre de Michel Aoun, a critiqué cette approche, bien qu’il fasse partie de la majorité parlementaire aux côtés du Hezbollah et du mouvement Amal.

« Nous sommes avec la rotation [des ministères] mais même si une communauté obtient un portefeuille à plusieurs reprises [y compris cette fois], cela ne crée pas pour autant un précédent permanent, a déclaré Gebran Bassil ce dimanche. La Constitution est claire dans le fait de ne pas consacrer un portefeuille à une communauté précise. »

Des sanctions américaines compliquent la donne

Des adversaires politiques des deux partis chiites pensent, quant à eux, que leur insistance à vouloir conserver le portefeuille des Finances s’explique par la crainte que les dossiers de corruption dont est accusé le président du Parlement Nabih Berri, qui dirige également le mouvement Amal, ne soient dévoilés au grand jour.

L’entourage du président de la Chambre balaye d’un revers de main les accusations de corruption. Un proche de Nabih Berri reconnaît que la Constitution ne consacre pas des ministères à des communautés bien déterminées mais souligne que la loi fondamentale ne précise pas non plus que le chef de l’État doit être maronite, le Premier ministre sunnite et le président du parlement chiite. «  C’est un accord non écrit devenu partie intégrante du pacte national, dit-il. Pourquoi en serait-il autrement pour le ministère des Finances, qui garantit aux chiites un partenariat authentique dans le système politique à travers la signature ? »

Les partis chiites ont durci leurs positions au lendemain des sanctions adoptées par le Trésor américain, le 8 septembre, contre l’ex-ministre des Finances Ali Hassan Khalil. Principal conseiller de Nabih Berri, ce député a été accusé par Washington de « corruption » et de soutenir le Hezbollah, considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis. Un autre ancien ministre des Travaux publics, Youssef Fenianos, membre du parti chrétien des « Marada », allié du Hezbollah, a également été sanctionné par le Trésor américain.

Pour les milieux politiques chiites, le timing de cette décision n’est pas innocent. Elle est intervenue quelques jours seulement après l’initiative lancée par Emmanuel Macron et en plein processus de formation du gouvernement par Moustapha Adib. « L’objectif est d’exercer des pressions pour affaiblir la position des chiites au sein du pouvoir exécutif et, dans un deuxième temps, priver le Hezbollah de toute légitimité », souligne la source proche de Nabih Berri.

Salem Zahran, directeur du centre de recherche Al-Irtikaz al-Ihlami, basé à Beyrouth, abonde dans le même sens. Il évoque une tentative de « coup d’État politique fomentée par des parties libanaises et étrangères » dans le but d’isoler le Hezbollah et d’imposer de nouveaux rapports de force qui torpilleraient les résultats des législatives de 2018. « Lors de ces élections, le Hezbollah, le CPL, Amal et leurs alliés ont obtenu 56,5 % des suffrages, rappelle Salem Zahran. Ce qui se passe aujourd’hui est une tentative de la minorité de s’emparer du pouvoir exécutif avec le soutien de l’étranger. »

Y a-t-il eu un revirement français ?

Pourtant, Emmanuel Macron a clairement dit, lors de ses deux voyages à Beyrouth, le 6 août et le 1er septembre, que la gravité de la situation au Liban appelait à « l’unité nationale » et exigeait la participation de toutes les forces politiques au règlement des multiples crises auxquelles le pays est confronté. Il a d’ailleurs tenu à recevoir tous ensemble les représentants des partis politiques, y compris le Hezbollah, au grand dam des adversaires libanais du parti chiite. Même le secrétaire d’État adjoint pour les Affaires du Proche-Orient, David Schenker, en visite à Beyrouth le 2 septembre, a reconnu des « divergences » avec la France au sujet du Hezbollah.

Les milieux proches du tandem chiite pensent cependant que l’approche française qui consistait à associer toutes les forces politiques à la tentative de sauvetage du Liban a changé et « s’est rapprochée davantage de la position américaine dont la priorité est d’isoler le Hezbollah ».

Une source diplomatique française à Beyrouth a confirmé que « les forces chiites doivent renoncer au ministère des Finances et le CPL au portefeuille de l’Energie dans le prochain gouvernement ». Dépêché à Paris le 9 septembre par Michel Aoun, le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, a entendu le même discours auprès de ses interlocuteurs français.

Les chiites durcissent leurs positions

Si le parti de Gebran Bassil a choisi de ne pas participer au gouvernement d’Adib tout en soutenant les réformes économiques et financières proposées par la France, les partis chiites, eux, ont durci leurs positions. Nabih Berri a annoncé que le Hezbollah et le mouvement Amal souhaitaient nommer leurs ministres et exigeaient le portefeuille des Finances, sinon ils ne participeront pas au gouvernement et ne lui accorderont pas la confiance au Parlement.

Privé du soutien de la composante chiite, le futur gouvernement aura du mal à démarrer sa mission dans des conditions idéales et sera sans doute incapable de mener à bien les réformes réclamées par la communauté internationale pour octroyer une aide financière d’urgence afin d’éviter l’effondrement total du Liban.

Face à ce tableau complexe, Moustapha Adib a suivi les conseils de Michel Aoun de reporter l’annonce de son gouvernement et de poursuivre ses concertations pour tenter de trouver une solution. Pour lui faciliter la tâche, le chef de l’État a entamé des consultations avec les blocs parlementaires dans l’espoir d'ouvrir la voie à la naissance du gouvernement jeudi 17 septembre au plus tard. Mais rien n’est dit d’avance.


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