Canal de Suez bloqué : quelles conséquences pour le commerce mondial ?

Alors qu'un porte-conteneurs géant était encore bloqué, jeudi, en travers du canal de Suez, les conséquences économiques d'un tel incident pourraient être considérables si la situation venait à durer. Des conséquences pour les pays importateurs, exportateurs, mais aussi pour l'Égypte qui tire des revenus colossaux de l'exploitation de cette route commerciale.

 

Un cargo s’échoue et c’est tout le commerce maritime international qui prend du plomb dans l’aile. Au lendemain de l’échouement de l’"Ever Given", l’Égypte tentait encore, jeudi 25 mars, de dégager le porte-conteneurs, long de 400 mètres et lourd de 220 000 tonnes, qui bloque le passage de tant d’autres navires par le canal de Suez, l'une des voies navigables les plus fréquentées du monde.

Jeudi, l'Autorité égyptienne du canal de Suez (SCA) a annoncé que le trafic maritime était "temporairement suspendu" jusqu'à la remise à flot du cargo. Selon une carte évolutive du site VesselFinder, des dizaines de navires attendent aux deux extrémités du canal et dans la zone d'attente située au milieu.

Cette voie maritime longue de 193 kilomètres voit passer 1,1 milliard de tonnes de marchandises par an, soit 10 % du commerce maritime mondial. Route commerciale clé entre l’Europe et l’Asie, son blocage pourrait porter un coup considérable aux approvisionnements dans les jours, voire dans les semaines à venir.

 

"L'épicerie portuaire par excellence"

L'incident, survenu dans la nuit de mardi à mercredi, entraîne d'importants retards de livraison de pétrole et autres produits commerciaux. La nouvelle a même fait bondir, mercredi, les cours du pétrole de 5%.

Si l'Europe représente l'essentiel de l'économie du canal de Suez, le Vieux Continent étant lié à l'Asie par ce passage maritime, il ne subit pas vraiment l'impact du blocage du canal sur les volumes de pétrole. "La voie stratégique énergétique n’est pas, en volume, importante pour l’Europe, car le pétrole du golfe part à 80 % vers l’Extrême-Orient et l’Inde", explique Paul Tourret, directeur de l'Institut supérieur d'économie maritime (Isemar), contacté par France 24. "Suez n’est plus aussi important pour le pétrole qu’il l’était il y a trente ans, à l’époque de la très forte dépendance de l’Europe au pétrole saoudien." Aujourd'hui, en effet, les pays européens s'approvisionnent davantage en pétrole d'origines algérienne, norvégienne ou russe.

En revanche, ils pourraient davantage être touchés par des retards d'approvisionnement pour d'autres types de marchandises, notamment les produits manufacturés "Made in China". Biens d'équipement, biens industriels, biens de consommation, biens alimentaires... Chaque année, "on doit tourner autour de 14 à 15 millions de conteneurs pleins dont 75 % viennent de Chine", poursuit le directeur de l'Isemar. "On est dépendants des produits manufacturés chinois. Or, dans les conteneurs, il y a à la fois votre téléphone, des éléments de construction d’une voiture ou des pièces réservées à la construction d'éoliennes."

Les flux de voitures y sont aussi importants, qu'il s'agisse des voitures allemandes sur les marchés du Golfe, ou les voitures japonaises et coréennes qui transitent vers l'ouest. "Il peut aussi y avoir des bateaux de grains russes pour l’Arabie saoudite, et des produits chimiques d’Arabie saoudite destinés à l’Europe de l’Ouest...", énumère Paul Tourret. Le canal de Suez, explique-t-il, "c’est l’épicerie portuaire par excellence. C’est toute la variété qu’on trouve sur le transport maritime."

Quelles alternatives au canal de Suez ?

Les conséquences économiques découlant du blocage du canal de Suez rappellent l'importance stratégique d'un tel passage. Si l'on ne peut le traverser, quelle alternative s'offre au commerce international ? Le cap de Bonne-Espérance, à la pointe sud du continent africain, semble le plus évident. "Vous vous épargnez les frais de passage du canal, qui sont de 500 000 dollars par passage, mais vous mettez une semaine supplémentaire et consommez une semaine de pétrole en plus", explique Paul Tourret.

Dans tous les cas, précise-t-il, cela dépend de la rapidité avec laquelle l'"Ever Given" sera dégagé. "Si le bateau est là pour trois semaines parce qu'il faut faire venir des moyens maritimes lourds, cela vaut peut-être le coup de faire le tour de l'Afrique pour ne pas perdre de temps sur les liaisons est-ouest."

Autres options : l'avion, ou le ferroviaire par la Russie. "On l'a vu pendant Fukushima alors que le nord du Japon produisait les pompes des moteurs des voitures en Europe", détaille le directeur de l'Isemar, évoquant la possibilité de remplir des trains qui, en onze jours, pourraient acheminer les marchandises en Europe depuis la Chine, via la Russie.

La solution pourrait être aussi de passer par le canal de Panama. "La terre a l'avantage d'être ronde, donc on peut aussi tourner dans l'autre sens", ajoute Paul Tourret. "On prend un 10 000 tonnes, il part de Shanghai, en treize jours il est à Panama et dix jours plus tard, il est à Rotterdam."

Deuxième revenu de l'Égypte après le tourisme

Les voies maritimes ne manquent pas et des alternatives peuvent être trouvées, mais au prix, dans tous les cas, de plusieurs jours de retard dans les approvisionnements. Quoi qu'il en soit, Paul Tourret le rappelle : tout cela sera apprécié en fonction de l'évolution de la situation dans le canal de Suez. "Pour l’instant, on est sur du retard. Si ça prend encore trois ou quatre jours, ça va commencer à perturber les approvisionnements, mais pour l'instant, tous les bateaux peuvent ralentir", explique-t-il. "Si, dimanche, ce n’est pas solutionné, on va commencer à passer à une semaine et ça veut dire que des bateaux nouveaux sont partis d’Extrême-Orient", poursuit-il, précisant qu'un bateau de la même ligne quitte son port chaque semaine en direction du canal. "Au-delà d’une semaine, on va commencer à être dans des embêtements logistiques, et au bout de deux ou trois semaines, on sera vraiment dans une grande perturbation."

La seconde voie du canal de Suez, dont les travaux d'élargissement et d'approfondissement avaient été annoncés en 2014 afin de permettre une plus grande circulation, a été inaugurée en 2015. "Sans doute, l'Égypte va maintenant devoir se poser la question de sécuriser la section."

Les conséquences de cette perturbation pourraient également être considérables pour l'Égypte, les recettes engrangées par le canal de Suez représentant la deuxième source de richesse du pays avec 5,5 milliards de dollars par an. "C’est la deuxième recette derrière le tourisme, et comme le tourisme est mal en point, c’est forcément très important aujourd’hui pour l’Égypte, d’où la nécessité d’accélérer le doublement de la voie sud", détaille Paul Tourret.


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