«Lingui» de Mahamat-Saleh Haroun, le combat des femmes, au Tchad et ailleurs

Publié le 08/12/2021 | Ajouter un commentaire

C'est jusqu'ici le film le plus féministe du cinéaste tchadien. Dans « Lingui », Mahamat-Saleh Haroun a mis son art des images au service du combat contre l'excision et la soumission des femmes. Après être reparti bredouille des palmarès du Festival de Cannes, du Fespaco à Ouagadougou et aussi des Journées Cinématographiques de Carthage, « Lingui » sort ce mercredi 8 décembre dans les salles en France.

 

L’avortement et l’excision se trouvent au cœur de cette histoire tragique tournée dans les faubourgs de Ndjamena, au Tchad. Une histoire à la fois très africaine et en même temps universelle, car elle aurait pu être tournée aussi dans d'autres pays africains et sur d’autres continents. Lingui questionne de façon frontale des liens et valeurs considérés comme sacrés dans une société patriarcale comme le Tchad : l’interdiction absolue de l’interruption volontaire de grossesse, mais aussi la pratique de l’excision, cette mutilation rituelle consistant en une ablation du clitoris qui est considérée en France comme un crime puni par la loi. Heureusement, grâce à la force des images d’une beauté renversante, Mahamat-Saleh Haroun réussit à inscrire et transformer cette réalité terrible en une utopie optimiste.

Si l’on devait choisir une seule scène de ce film merveilleux, ce serait celle du début. Là où Amina est en train de se décarcasser pour faire sortir d’un ancien pneu de camion des fils d’acier pour tisser ensuite de magnifiques paniers. Une fois qu’elle a fait renaître la matière sous une autre forme, la mère quitte sa maison modeste pour aller chercher un avenir, pour sa fille de 15 ans et soi-même. Habillée d’une robe orange ocre épousant le soleil et le sable, et avec trois paniers sur la tête et deux dans les mains, elle se promène, dégageant une grâce divine. Pourtant, il faut se rappeler : elle est juste en train d’aller en ville pour vendre ses paniers dans la rue ou sur le marché.

Mahamat-Saleh Haroun et la beauté des gestes

À l’image d’un peintre, Mahamat-Saleh Haroun dégage toutes les choses superflues ou superficielles de ses compositions pour aller à l’essentiel. Projetées sur grand écran, il nous permet de vivre et voyager avec ses personnages, de bouger comme eux dans ce paysage naturel et humain dans lequel il nous a embarqués comme un capitaine dans sa pirogue.

Le réalisateur tchadien adore donner du temps au temps. Son cinéma puise son énergie dans la beauté des gestes et des couleurs, la grâce des silhouettes et paysages, les profondeurs de l’humanité exprimées au travers des voix d’hommes et de femmes.

Depuis toujours, il refuse de soumettre ses images à une obligation d’une quelconque action. Un homme qui crie, prix du Jury au Festival de Cannes en 2010, raconte une histoire père-fils avec en toile de fond la guerre civile au Tchad, dans laquelle Haroun lui-même a été blessé avant de s’exiler longtemps en France. En 2013, il présentait à Cannes Grigri, une histoire d’amour entre un jeune danseur handicapé et une jeune prostituée. Et quatre ans plus tard, il était de nouveau en lice pour la Palme d’or avec son documentaire sur l’ancien président et dictateur tchadien Hissène Habré, sans lequel il « ne serai(t) jamais parti du Tchad ».

La violence et les tabous

 

Dans Lingui, Mahamat-Saleh Haroun ralentit encore une fois ostentatoirement le rythme des images. Celui-ci reste lent jusqu’à la fin. En revanche, dans nos têtes, l’histoire s’accélère et nous mène vers d’autres horizons. L’histoire de Lingui – les liens sacrés  semble simple. Une fille de 15 ans se retrouve enceinte et risque de répéter le destin tragique de sa mère. Comme sa fille aujourd’hui, Amina a été abandonnée par le père de l’enfant, renvoyée de l’école. Jusqu’à aujourd’hui, elle doit durement travailler pour survivre, sa famille ayant coupé tout contact avec elle. Et depuis qu’elle est devenue une fille-mère, plus personne ne la respecte dans cette société dominée par la religion musulmane.

Donc, comment sortir de cette impasse ? Maria veut à tout prix avorter pour ne pas subir le même sort que sa maman. Mais cet acte devenu banal dans beaucoup de sociétés occidentales est doublement interdit au Tchad, et par la religion musulmane et par la loi qui prévoit cinq ans de prison.

Les hommes, la religion et l’hypocrisie

Mahamat-Saleh Haroun - éphémère ministre de la Culture au Tchad de 2017 à 2018, un poste qu’il a quitté officiellement pour « des raisons personnelles » fait surgir à l'écran de mille manières les contradictions entre les paroles et les actes régnant partout dans la société tchadienne. Celle de la religion (« on est tous des frères ») qui veille surtout à ce que les femmes restent à la place décidée par le patriarcat. Il y a aussi l’hypocrisie des hommes dont les actes contredisent souvent leurs paroles. Sans oublier l’école qui met la chimère de la réputation de l’établissement au-dessus de sa mission éducative. Puis, le détail qui tue : dans le film, le seul homme de bonne volonté échoue lamentablement.

Reste alors la solidarité entre les femmes maltraitées par la société. Elles ne cessent de chercher des solutions à des problèmes considérés comme insolubles. Elles seules portent le changement, souvent introduit par des détours, des actions dans l’ombre, tout en faisant semblant de respecter la tradition et les règles de cette société qui les enferment. Les femmes sont conscientes que l’heure n’est pas encore venue pour réclamer ouvertement le respect et un changement.

La réalité, le cinéma et l’imaginaire

Avec sa fin heureuse, le conte de fées cinématographique de Mahamat-Saleh Haroun est probablement loin des réalités au Tchad. Et dommage que quelques scènes donnent l’impression d’une note pédagogique tournée plus vers un public occidental qu’africain ou universel. Néanmoins, le plus grand mérite du film reste intact : esquisser l’horizon d’un possible changement et désigner les actrices de ce bouleversement. Surtout nourrir notre imaginaire avec des images d’une beauté époustouflante. C’était toujours le combat pour les rêves et l’engagement pour les utopies qui ont fait avancer les sociétés.

 


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