"Plutôt mourir ici que d’aller dans un nouveau camp" : à Lesbos, les migrants ne veulent pas d’un autre Moria

Une nouvelle manifestation a eu lieu dimanche dans le camp informel qui s’est constitué sur la route de Mytilène, sur l’île grecque de Lesbos. La veille, la police avait fait usage de gaz lacrymogène contre des migrants qui demandaient leur évacuation de l’île. Le gouvernement grec a assuré que tous les demandeurs d’asile seraient envoyés dans un nouveau camp fermé en construction.

"Nous n’avons pas besoin d’un nouveau camp", "Nous voulons la liberté", "C’est l’enfer, nous voulons partir d’ici". Dans la manifestation organisée dimanche 13 septembre par les femmes du camp informel qui s’est constitué sur la route de Mytilène, sur l’île grecque de Lesbos, les slogans étaient sans ambiguïté.

La plupart des quelque 13 000 personnes migrantes, qui ont fui les incendies de la nuit du 8 au 9 septembre, sont à Moria depuis plus d’un an. Pour elles, il n’est pas question que le gouvernement grec les enferme dans un nouveau camp.

Sur le bord de la route et sous un soleil de plomb, Irène brandit une pancarte en carton où il est écrit : "We don’t go to the new camp" ("Nous n’irons pas dans le nouveau camp", en français). Sur celle de Chantal, à côté d’elle, on peut y lire : "We don’t want a new camp. Europe, help us please" ("Nous ne voulons pas du nouveau camp. L’Europe, aidez-nous s’il vous plaît", en français).

Originaire de République démocratique du Congo, Chantal attend la réponse à sa demande d’asile depuis octobre 2019. "Il y a d’autres villes où on pourrait aller. On est prêtes à aller n’importe où dans l’Union européenne", assure-t-elle.

Pas d’eau, ni nourriture

Samedi, les migrants de Lesbos avaient déjà manifesté contre leur envoi dans le nouveau camp fermé en construction non loin de l’endroit où ils sont installés. Mais la police avait projeté des gaz lacrymogènes alors que de très jeunes enfants se trouvaient à proximité des manifestants, créant une situation de panique.

Depuis les incendies du camp de Moria, près de 13 000 personnes vivent au bord de la route qui mène de Moria à Mytilène, sous des tentes faites de couvertures et tissus tendus. Les migrants ne sont pas autorisés à quitter ce camp informel jonché d’ordures. Deux bus de police bloquent en permanence l’accès vers le centre-ville et le port de Mytilène. Les commerces et stations services sur les parkings desquels les migrants se sont installés, sont fermés.

Les exilés n’ont donc presque rien mangé depuis cinq jours. Ils manquent aussi d’eau alors que la chaleur est écrasante. Pour pouvoir remplir des bouteilles et laver quelques vêtements, des personnes ont fait de petits trous dans les tuyaux d’irrigation. 

Mohammed et plusieurs de ses camarades ont participé à la manifestation de samedi. Ces jeunes Guinéens ont conservé leur pancarte "Sauvez-nous l’Europe" et l’ont accrochée à un poteau juste en face de leur emplacement, situé sous un pin. "On nous a gazé alors qu’on réclamait nos droits", s’indigne Mohammed, assis sur un muret en pierre.

Dimanche, ce sont donc les femmes qui ont arpenté la route de Mytilène qui longe le littoral pour réclamer leur évacuation de l’île car tout le monde se disait que la police grecque n’oserait pas lancer des gaz lacrymogènes sur des femmes et des enfants.

"N’importe quel pays qui sera bien pour nos enfants"

Sur le bord de la route, des femmes afghanes s’interrogent : que vont-elles devenir elles et leurs enfants ? C’est Sharifa, une Afghane de 41 ans, le visage entouré d’un voile vert, qui traduit pour les autres. "Nous voulons partir. Nous voulons que nos enfants puissent aller à l’école. Cela fait deux ans que nous sommes ici", déclare-t-elle.

À côté d’elle, une femme plus âgée ne peut retenir ses larmes en racontant qu’à 67 ans, elle vit à Moria depuis plus d’un an. "Nous préférons mourir ici plutôt que d’aller dans un autre camp", dit une autre femme dont le fils est malade. "Nous voulons aller dans n’importe quel pays qui sera bien pour nos enfants".

Le désespoir de ces mères est total et toutes s’inquiètent en particulier du fait que leurs enfants n’aillent pas à l’école. L’une d’elles écoute depuis le début la conversation en silence, un enfant endormi dans les bras. Des larmes coulent doucement sur ses joues.

Camp fermé

"Ce qu’ils sont en train de construire, c’est pire que ce qu’il y avait", assure Martin, un jeune Camerounais qui s’est mis à l’abri sous une couverture avec plusieurs amis.

Avant l’incendie de Moria, lui est ses amis étaient détenus dans le centre de rétention du camp. "C’est le feu qui nous a libéré de la prison", affirme Landry, assis à côté de lui et lui aussi camerounais.

Ce sont généralement les personnes dont la demande d’asile a été rejetée qui sont enfermées dans le centre de rétention mais certains y seraient également détenus dès leur arrivée à Lesbos. C’est notamment le cas de Moussa, un jeune Malien qui vit avec Martin et Landry. Après une première détention de 90 jours puis trois mois en liberté, il devait y passer six mois après le rejet de sa deuxième demande d’asile.

Pour ces jeunes Africains, le nouveau camp fermé, installé au nord de Kara Tepe, à environ 4 km du centre-ville de Mytilène, a tout l’air d’une nouvelle prison. "La majorité des frères qui y sont rentrés ne peuvent plus en sortir", affirme Martin.

Dimanche matin, Notis Mitarakis, le ministre grec de la migration, s’est exprimé face à la presse – interdite d’accéder à la route où sont installés les migrants – devant l’entrée du nouveau camp temporaire en construction. La veille, 300 personnes y avaient déjà été admises.

Notis Mitarakis a declaré que “tous les demandeurs d’asile y seraient transférés”. Le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a, de son côté, affirmé qu’un "centre de réception permanent" allait être érigé à Lesbos pour remplacé celui de Moria. Dimanche, plus de 500 migrants ont été envoyés dans le nouveau centre temporaire.


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