Formation d'un gouvernement au Liban : le Hezbollah s'isole du reste de la classe politique

Le tandem chiite composé du Hezbollah et du mouvement Amal bloquent la formation d'un nouveau gouvernement au Liban, de par leur exigence à voir le poste de ministre des Finances être attribué à une personne issue de leur communauté. Une posture qui isole ces deux forces politiques, y compris auprès de l'allié chrétien du Hezbollah, le président Michel Aoun

Le processus de formation du gouvernement reste bloqué au Liban. les négociations achoppent notamment sur la question de l'attribution du portefeuille des Finances, que le Hezbollah et le mouvement Amal, les deux principales forces politiques chiites, refusent de céder.

Ces dernières exigent qu'une personnalité issue de leur communauté, et de leur choix, récupère ce ministère régalien comme c'est le cas depuis 2014. Il s'agit à leurs yeux d'une garantie essentielle car au Liban, les décrets sont généralement cosignés par le président de la République qui est maronite, par le Premier ministre qui est issu de la communauté sunnite, ainsi que par le ministre des Finances.

Renoncer à cette prérogative reviendrait, selon eux, à perdre le contreseing chiite sur les principales décisions de l'exécutif, alors que le système politique libanais est basé sur le confessionnalisme et les marchandages politiciens. "Nous refusons que l'on nomme nos ministres à notre place. Et nous refusons que l'on s'oppose à ce que la composante que nous représentons ne dispose pas du ministère des Finances", a indiqué le Hezbollah dans un communiqué publié le 17 septembre.

Le blocage autour de ce portefeuille met en péril les efforts de la France, très investie au Liban depuis la double explosion du 4 août survenue au port de Beyrouth, pour obtenir la formation rapide d'un gouvernement alors que le pays fait face à une crise économique aiguë.

 

Tandis que le Premier ministre désigné Moustapha Diab entend remettre en cause le partage historique des portefeuilles ministériels sur une base confessionnelle, la détermination à obtenir gain cause du Hezbollah et du mouvement Amal, dirigé par le président du Parlement Nabih Berri, est en train d'isoler ces deux formations sur la scène politique du pays du Cèdre.

Même l'influent patriarche maronite Béchara Raï a implicitement vilipendé le tandem chiite, dimanche, lors de son homélie dominicale. "À quel titre une communauté réclame-t-elle un ministère, comme s'il lui appartenait, et entrave la formation du gouvernement jusqu'à obtenir ce qu'elle veut, provoquant ainsi une paralysie politique ? Où la Constitution permet-elle un monopole sur un portefeuille ministériel ?", s'est-il interrogé.

L'alliance Hezbollah Aoun fragilisée

Mais le blocage du tandem chiite semble également embarrasser le camp du président Michel Aoun, pourtant allié politique indéfectible du Hezbollah depuis 2006.

Si un cabinet n'est pas formé, "nous nous dirigeons vers l'enfer", a lancé, lundi, le chef de l'État, qui a proposé de supprimer la distribution communautaire des portefeuilles dits "régaliens" pour résoudre la crise.

Samedi, c'est le Courant patriotique libre (CPL), fondé par Michel Aoun et dirigé par son gendre Gebran Bassil, qui avait publié un communiqué condamnant le principe selon lequel "une partie puisse imposer son contreseing aux Libanais d'une manière contraire à la Constitution et aux coutumes en vigueur". Une pique implicite dirigée contre les deux mouvements chiites, membres comme le CPL de la majorité au Parlement.

Le président Aoun, que ses détracteurs qualifient de "caution chrétienne du Hezbollah", serait-il en train de tourner le dos à son alliance avec le mouvement pro-iranien ? Le chef de l'État a répondu par la négative, lundi lors de sa conférence de presse.

Tout en assurant que l'entente signée en 2006 avec le parti chiite était toujours en vigueur, et que "les alliances n'empêchaient pas les désaccords", il a néanmoins jeté la balle dans le camp de son allié, en précisant que la solution était à chercher de leur côté.  "Lorsqu'il y a un désaccord, chacun s'en remet à ses convictions, et les miennes sont basées sur la Constitution", a-t-il également lancé.

"Ce n'est pas la première fois qu'il y a des désaccords entre le Hezbollah et le CPL, mais il est vrai que le blocage autour du portefeuille des Finances isole un peu plus le tandem chiite", souligne à France 24 Joseph Daher, universitaire et auteur du livre "Le Hezbollah, un fondamentalisme religieux à l'épreuve du néolibéralisme" (Éd. Syllepse). 

Et d'ajouter : "Si le parti du président Aoun semble se démarquer de son allié chiite ces derniers temps, il est trop tôt pour parler d'une remise en cause de leur alliance, car aucun des deux camps n'a intérêt à une rupture dans laquelle ils seraient perdants tous les deux".

Les médias libanais rapportent que les sanctions infligées par l'administration américaine, le 8 septembre, à deux anciens ministres issus de partis alliés au Hezbollah, considéré comme une organisation "terroriste" par Washington, a provoqué un électrochoc au sein de la classe politique libanaise.

En visant expressément Ali Hassan Khalil, un des piliers du mouvement chiite Amal, et Youssef Fenianos, un cadre chrétien du parti des Maradas (prosyrien), Washington laisse entendre que nul n'est à l'abri de sa stratégie visant à affaiblir et isoler le Hezbollah.

"L'isolement du tandem chiite intervient au mauvais moment dans une période où les États-Unis se montrent intraitables avec tout ce qui est en rapport avec l'Iran et ses alliés, poursuit Joseph Daher. Les sanctions vont faire réfléchir les alliés du Hezbollah, c'est évident".

Paradoxalement, c'est cette politique de sanctions, intervenue au moment même où la France avait offert une bouffée d'oxygène au parti de Hassan Nasrallah en dialoguant publiquement avec lui, qui a poussé le tandem chiite à se montrer moins conciliant lors des négociations visant à former un gouvernement. 


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