Brexit : « Nous n'avons rien à gagner à un Royaume-Uni mal en point »

ENTRETIEN. Le Parlement européen, par la voix de Nathalie Loiseau, prévient qu'il ne validera aucun accord, tant que Boris Johnson ne plie pas.

Boris Johnson persiste et signe : son projet de loi sur le marché intérieur, pomme de discorde avec l'Union européenne, sera débattu lundi au Parlement britannique. Le Premier ministre britannique considère que le protocole sur l'Irlande du Nord, en installant une frontière douanière en mer d'Irlande, serait susceptible de permettre aux Européens de provoquer un « blocus alimentaire » envers l'Irlande du Nord. « Nous ne pouvons pas laisser le pouvoir théorique de briser notre pays, de le diviser, entre les mains d'une organisation internationale », a expliqué Boris Johnson, considérant comme « vitale » l'adoption de son texte de loi.

Johnson envisagerait également de rompre avec la Convention européenne des droits de l'homme pour retrouver des marges dans le traitement des migrants. L'attitude du Premier ministre consterne les Européens et rend moins probable des coopérations proches à l'avenir. Entretien avec Nathalie Loiseau, l'ancienne ministre de l'Europe, chargée de suivre la négociation avec le Royaume-Uni au sein du Parlement européen.

Le Point : Boris Johnson défie l'Union européenne en refusant de retirer un projet de loi qui remettrait en cause, selon Bruxelles, le traité de sortie de l'UE. Comment analysez-vous ce mouvement tactique du Premier ministre britannique dans la dernière ligne droite des négociations avec l'UE ?

Nathalie Loiseau : Cette remise en cause est un non-sens : l'accord de retrait a fait l'objet d'une longue négociation, il a été signé en commun, ratifié de part et d'autre et Boris Johnson en a vanté les mérites durant sa propre campagne électorale. S'il s'agit d'un mouvement tactique pour semer la confusion et la zizanie parmi les Européens, c'est d'ores et déjà un échec. Les réactions sont unanimes. Le Parlement européen a pris une position très claire : tant que l'accord de retrait ne sera pas mis en œuvre en totalité et de bonne foi, pas question de ratifier un futur accord de partenariat s'il devait y en avoir un. Sur quoi bâtirons-nous la relation future si la situation présente est incertaine ?

Sa majorité parlementaire peut-elle le suivre et adopter un projet de loi qui écrit noir sur blanc qu'il ne respectera pas le droit international ? Y a-t-il une chance qu'il soit désavoué à Westminster ?

 

C'est aux parlementaires britanniques de décider. Ils sont souverains et nous n'avons jamais contesté leur souveraineté. Pour autant leur décision aura des conséquences. Ou bien le Royaume-Uni demeure l'avocat d'un ordre international fondé sur des règles, ce qui implique que lui-même les respecte, ou bien il passe « du côté obscur de la force », celui des pays auxquels on ne peut pas accorder sa confiance. Que dira le gouvernement britannique à la Chine sur la violation du traité international régissant Hongkong, si Londres s'assoit sur ses propres engagements ?

Lorsque vous étiez ministre des Affaires européennes, vous avez eu à travailler avec Boris Johnson, à l'époque ministre des Affaires étrangères de Theresa May. Qu'avez-vous perçu de la psychologie du bonhomme ? De sa méthode de négociation à l'époque ?

Je réserve mes souvenirs pour mes Mémoires, si un jour je les écris. Mais j'observe une contradiction fondamentale dans la posture de négociation britannique actuelle : le gouvernement britannique reproche à l'Europe de vouloir qu'il s'engage par écrit à respecter pour l'avenir des standards élevés en matière d'environnement ou de droit du travail et nous invite à le croire sur parole. Mais, en même temps, il rompt les engagements qu'il a lui-même pris sur l'accord de retrait et ébranle de sa propre initiative la confiance qu'il réclame qu'on lui accorde.

On spécule beaucoup sur l'influence doctrinale que son conseiller, Dominic Cummings, un Hard Brexiter convaincu, exercerait sur lui. Pensez-vous réellement que Johnson, un homme cultivé, ayant fréquenté les meilleures écoles, puisse être manipulable ou même endoctrinable, lui qui a si souvent changé d'avis au gré des circonstances ?

On ne peut pas nier qu'il y ait à Londres, jusque dans l'entourage proche du Premier ministre, des partisans d'un Brexit sans accord. Il est permis de se demander s'ils ne cherchent pas à multiplier les provocations dans l'espoir de faire perdre patience à l'Union européenne, qu'elle quitte la négociation et porte la responsabilité d'un no deal. C'est bien mal connaître comment fonctionne l'Union européenne. Et c'est sous-estimer le fait que, dans cette négociation, le flegme et le pragmatisme sont du côté de Bruxelles.

Le gouvernement Johnson vient de signer son premier accord de libre-échange avec le Japon et se vante d'avoir obtenu de meilleures conditions sur certains produits que dans l'accord UE-Japon. N'est-ce pas là la démonstration qu'il a peut-être raison sur le fond : la défense des intérêts commerciaux britanniques n'est jamais mieux garantie que lorsque les Britanniques négocient pour eux-mêmes sans passer par l'intermédiaire de la Commission européenne ?

Si Londres a signé un bon accord avec Tokyo, tant mieux. Nous n'avons rien à gagner à un Royaume-Uni mal en point et ce n'est pas ce que nous recherchons. Maintenant, voyons ce que contient exactement l'accord, plutôt que la communication qui l'entoure. Je note que, en parallèle, de nombreuses voix s'élèvent aux États-Unis pour demander qu'aucun accord ne soit conclu avec Londres tant que le « protocole irlandais » qui fait partie de l'accord de retrait n'est pas pleinement respecté. Je relève aussi que l'Union européenne est aujourd'hui déterminée à imposer aux partenaires qui veulent conclure des accords commerciaux avec elle des clauses essentielles, comme le respect des accords de Paris. Chaque négociation est un rapport de force. La taille du marché unique permet d'obtenir à 27 des progrès qu'aucun État isolé ne pourrait imposer.

 


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