Soupçons de corruption au Parlement européen: le choc et des questions

Après la révélation d'une affaire de corruption de grande ampleur entre des eurodéputés et le Qatar, qui a notamment conduit à l'inculpation de la vice-présidente du Parlement, Eva Kaili, les interrogations se multiplient. À Strasbourg, la session parlementaire qui s'ouvre, ce lundi 12 décembre, risque d'être mouvementée. Pour la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, les soupçons de corruption au sein du Parlement européen sont « très graves ».

 

Après le choc, les questions se bousculent au lendemain de l'inculpation et de l'arrestation dimanche, à Bruxelles, de la vice-présidente du Parlement, la Grecque Eva Kaili pour des faits présumés de « corruption ». Qui était au courant ? Comment la procédure judiciaire va-t-elle se dérouler ? 

« Une enquête est en cours et nous la suivons », a précisé, prudent, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, jugeant « très préoccupantes » les informations sur cette affaire alors que l'onde de choc continue à s'étendre.

La présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a annoncé une « enquête interne pour examiner tous les faits liés au Parlement » européen et faire en sorte que l'institution se réforme. « Il n'y aura aucune impunité (...) rien ne sera mis sous le tapis », a-t-elle promis.

« Un incident incroyable qui doit être élucidé »

« Il s'agit vraiment d'un incident incroyable qui doit maintenant être élucidé sans équivoque et avec toute la rigueur de la loi, car il en va aussi et surtout de la crédibilité de l'Europe », a de son côté estimé la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock. « C'est un scandale sur lequel nous devons faire éclater la vérité afin que nous puissions nous assurer que cela ne se reproduise pas », a pour sa part insisté le chef de la diplomatie irlandaise, Simon Coveney. 

L'affaire porte sur de gros versements qu'aurait effectués le Qatar pour influencer des décisions au sein de cette grande institution de l'Union européenne. Trois autres personnes ont été également écrouées par la justice belge, deux jours après leur interpellation. Selon la presse belge, l'ancien eurodéputé italien Pier-Antonio Panzeri, désormais à la tête de l'ONG Fight Impunity, a, lui aussi, été écroué dimanche.

Dans les rangs du Parlement européen, l'eurodéputé allemand Verts Daniel Freund se dit très surpris par l'ampleur de l'affaire. C'est du jamais vu dans cette institution, selon lui. « On sait que depuis des années, il y a différents États qui ont essayé d’influencer, entre autres avec de la corruption, les positions de l’Union européenne, mais aussi du Parlement européen : on a vu tout ce qu’a fait l’Azerbaïdjan, on a vu la Russie, d’autres États. Mais l’ampleur ici est quand même surprenante, pointe-t-il. Maintenant, on attend de voir ce que les enquêtes vont révéler. » Et il craint que cette affaire touche aussi d'autres députés. 

Eva Kaili n'a pas pu bénéficier de son immunité parlementaire, car l'infraction qui lui est reprochée a été constatée « en flagrant délit » : des « sacs de billets » ont été retrouvés dans l'appartement de l'élue socialiste au cours d'une perquisition.

« Des réformes et un renforcement des règles éthiques »

Et maintenant, que va-t-il se passer au Parlement ? Une session parlementaire s'ouvre ce lundi à Strasbourg, et elle promet d'être agitée. « L’ensemble des membres du Parlement européen vont essayer de comprendre quels types de décisions ont pu être influencées par cet argent arrivant du Qatar, estime Juliette Lelieur, professeure de droit pénal à Strasbourg et spécialiste des questions de corruption. Ils vont passer en revue toutes les décisions qui pourraient avoir un lien avec le Qatar, et qu’ils ont prises dans le passé, et essayer de se demander à quel moment l’influence a pu avoir lieu. »

« Ce que l’on peut attendre, c’est qu’il y ait une vraie prise en main politique de ce scandale, et que sans attendre, il y ait des prises de position fortes des institutions européennes, espère Elsa Foucraut, consultante spécialiste de la lutte contre la corruption et enseignante à Sciences Po. Et puis, surtout, que des perspectives de réformes, de renforcement des règles éthiques soient annoncées assez rapidement. On a tendance en général à dire qu’il y a deux types de scandales : des scandales apprenants et non-apprenants. Et donc, tout ce que l’on peut espérer, c’est que pour ce scandale de corruption, l’enquête puisse aller au bout de manière indépendante, et puis que ce soit un scandale apprenant, c’est-à-dire un scandale qui va contribuer à renforcer les règles institutionnelles. »

L'eurodéputé Daniel Freund espère, en tout cas, que cette affaire poussera le Parlement européen à renforcer les règles contre la corruption et à surveiller plus étroitement les activités de lobbying des États tiers. « Premièrement, il faut faire entrer les États tiers dans le registre des lobbyistes, avance-t-il. Deuxièmement, les réunions avec ces États devraient être publiées, si c’est avec les députés ou avec les commissaires. Et après, je pense que les règles existantes devraient quand même être surveillées indépendamment. J’ai obtenu une grande majorité au Parlement européen, l’année passée, pour une proposition pour une telle autorité indépendante. Maintenant, il faut vraiment la créer. On attend depuis plus d’un an la Commission européenne sur cette question. Et quatrièmement, je pense aussi qu’on devrait quand même réfléchir : est-ce que c’est normal que les députés se fassent inviter à des voyages de luxe payés par des gouvernements qui ne sont pas toujours très amicaux envers l’Union européenne, des dictatures qui paient en fait des voyages de luxe pour les députés ? Moi, je pense qu’on devrait arrêter ça. » Si cette affaire suscite l'indignation chez les eurodéputés français, aucun ne semble vraiment surpris. 

Les avoirs d'Eva Kaili gelés en Grèce

En Grèce, l'affaire connaît aussi un grand retentissement. Ce lundi, l'Autorité grecque de lutte contre le blanchiment d'argent a annoncé geler tous les avoirs d'Eva Kaili et ceux de sa famille proche. Tous les biens d’Eva Kaili sont devenus suspects. Dans le viseur de l’Autorité anti-blanchiment et de son patron, Haralambos Vourliotis, se retrouvent en effet « les comptes bancaires, les coffres, les sociétés et tout autre actif financier » appartenant à la vice-présidente grecque du Parlement européen. Une société immobilière à son nom, créée il y a à peine un mois à Kolonaki, le quartier chic du centre d’Athènes, suscite ainsi particulièrement la suspicion, rapporte notre correspondant à AthènesJoël Bronner.

Exclue du Pasok-Kinal, le parti socialiste grec, Eva Kaili est devenue en seulement quelques jours un parangon de corruption, elle qui est accusée d’avoir été achetée par le Qatar. Dans un éditorial au vitriol intitulé « la politique et les politiciens », le principal quotidien de gauche, Efsyn, dresse un portrait peu élogieux d’Eva Kaili et en profite pour dénoncer le laxisme des institutions grecques à ce sujet. « Il est assez rare que la corruption en politique soit dénoncée et punie, écrit EfsynC'est le malheur de Mme Kaili. Le scandale pour lequel elle fait l'objet d'une enquête se déroule en dehors de la Grèce. »


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