Kazakhstan: le président affirme que l'ordre constitutionnel a été «largement rétabli»

Longtemps réputé pour être le pays post-soviétique le plus stable, le Kazakhstan est secoué par une révolte entamée sur le prix du gaz qui s’est poursuivie par des revendications politiques. Depuis jeudi, l'organisation régionale de l'OTSC, emmenée la Russie, a décidé d'intervenir. Vendredi matin, le président affirme que l'ordre constitutionnel est « largement rétabli ».

L'heure semble à la reprise en main. « L'ordre constitutionnel a été largement rétabli dans toutes les régions », a déclaré le chef de l'État dans un communiqué, ajoutant que les opérations de retour à l'ordre public se poursuivraient « jusqu'à la destruction totale des combattants ».

Les forces de l'ordre autorisées à tirer « sans avertissement »

État d’urgence, internet coupé, véhicules militaires blindés dans les rues... L’ambiance est au rétablissement de l’ordre au Kazakhstan. Ce communiqué vient après l'annonce jeudi soir de la reprise du contrôle de tous les bâtiments publics à Almaty, la capitale économique. Des bâtiments qui sur les rares vidéos indépendantes qui circulent sont totalement vides, brûlés et pillés, rapporte notre correspondante à Moscou Anissa el Jabri. Dans la ville, les carcasses de véhicules incendiés parsèment les rues. 

Au cours d'une allocution télévisée, ce vendredi 7 janvier, le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, a annoncé autoriser les forces de l'ordre à ouvrir le feu « sans avertissement » pour mettre un terme aux émeutes chaotiques qui secouent le pays. 

L'armée kazakhstanaise a semble-t-il ouvert le feu jeudi sur des protestataires à Almaty. Sur les rares images, on entend les mitrailleuses à plein régime, on voit la fumée des explosions. La police aurait tué dans la nuit de mercredi à jeudi 26 civils, des « criminels armés » selon les autorités. Dix-huit policiers auraient aussi perdu la vie. Trois mille personnes ont été arrêtées et risquent la prison à vie.

Troupes russes sur place

Les autorités de ce pays de 18 millions d’habitants ont fait appel au soutien de l’Organisation du traité de sécurité collective, dominée par la Russie. Près de 4 000 hommes, dont la mission sera essentiellement de protéger des infrastructures stratégiques. On parle de 3 000 soldats et officiers russes déployés, 500 Biélorusses, 200 Tadjiks, 70 Arméniens. Ils continuaient d'arriver ce vendredi. Comme la veille, ce sont principalement des parachutistes. 

Kassym-Jomart Tokaïev, a rejeté vendredi toute possibilité de négociation avec les protestataires et promis « l'élimination » des « bandits armés » après plusieurs jours d'émeutes meurtrière. Selon lui, Almaty, la plus grande ville du pays, a été attaquée par « 20 000 bandits » avec un « plan clair » et un « haut niveau de préparation au combat ».

Pour Julien Thorez, chercheur au CNRS, spécialiste de l’Asie centrale, il y a une raison précise pour laquelle le gouvernement a décidé de faire appel aux troupes de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) alors que l’armée kazakhstanaise aurait pu suffire. « Il y a eu des endroits où les forces de l’ordre ont décidé de ne pas intervenir contre les manifestants. Il y a aussi eu, en particulier à Almaty, des éléments un peu troublants où des bâtiments des services de sécurité ont été pris par des manifestants visiblement organisés et un peu entraînés, avec même des armes qui ont été directement laissées accessibles à ces derniers, explique le chercheur. Du coup, on peut penser qu’une partie des organes de sécurité a lâché l’État et la présidence. Et on peut penser du coup que, dans ce contexte, le président [Kassym-Jomart] Tokaïev, qui vient de prendre la direction du Conseil de sécurité, a décidé de faire appel aux forces de l’Organisation du traité de sécurité collective. Par ailleurs, on peut aussi imaginer que, en faisant intervenir les forces étrangères, les autorités kazakhstanaises souhaitent limiter l’ampleur des manifestations, notamment en jouant sur le ressort de la peur. »

Dans son allocution télévisée vendredi, le président Kassym-Jomart Tokaïev a remercié « tout spécialement » le président Poutine pour l'envoi des troupes. « L’utilisation de l’OSTC, c’est choquant, parce que même le président prorusse Ianoukovitch, pendant la révolte à Maidan, ne l’a pas fait. Cela pose vraiment beaucoup de questions, vraiment beaucoup, estime Raul Uporov, journaliste local à Oural, ville du nord du Kazakhstan. Moi, je suis très opposé à la présence des forces étrangères, et ici au Kazakhstan, beaucoup de citoyens, ceux qui s’intéressent à la politique mais aussi les gens ordinaires, s’interrogent. Pendant 30 ans, on a payé nos impôts, on a donc payé les forces de l’ordre, les policiers, l’armée, ils baignaient dans l’argent, ils étaient très forts pour arrêter des femmes et des grands-mères, mais là lors de ces derniers jours de crise, ils ont disparu. Cette décision de Tokaïev pose vraiment beaucoup de questions : est-ce que tout ça était planifié, beaucoup de personnes pensent que c’est une guerre de clans de l’ancien président pour le pouvoir. Cette situation n’est pas claire. »

« Nous ne sommes pas des terroristes, nous sommes des gens normaux »

Sur une autre photo qui circulait jeudi, des habitants portaient une banderole « Nous ne sommes pas des terroristes, nous sommes des gens normaux ». Le pouvoir parle d’opération antiterroriste quand il n’a été question en réalité que de mettre fin à une vague de mécontentement suscité par des conditions de vie difficiles, sur fond de manne pétrolière très mal redistribuée et de ras-le-bol d’une gouvernance autoritaire et corrompue, commente notre correspondant à TbilissiRégis Genté. Les troubles ont commencé lorsque le prix du gaz de pétrole liquéfié (GPL) a doublé. Il n’est plus question pour l’heure de réformes sociales et politiques évoquées lundi par le président Kassym-Jomart Tokaïev. Le plafonnement des prix du carburant doit être rétabli pour six mois.

Le quotidien de la population est assez compliqué, rappelle Etienne Combier, rédacteur en chef de Novastan, le seul média européen spécialisé sur l'Asie centrale, pour expliquer le « ras-le-bol » des Kazakhstanais « une augmentation des prix de plus 10% en un an. Et une pandémie qui a beaucoup affecté le Kazakhstan avec des quarantaines à répétition, avec certes une aide assez directe du gouvernement mais qui n'est là que pour les aider au jour le jour. On est dans une situation où le Kazakhstan est quand même très riche en ressources naturelles, mais la redistribution n’est pas forcément aussi importante qu’elle pourrait l’être, commente Etienne Combier. Finalement, une situation où aussi on a des hommes politiques qui fondamentalement n’ont pas vraiment changé depuis la fin de l’Union soviétique, en tout cas qui n’ont pas changé entre la fin du règne de Noursoultan Nazarbaïev en février 2019. Fondamentalement, il n’y a pas eu un énorme changement pour les Kazakhs dans leur quotidien. Et c’est cela qu’on ressent aujourd’hui. C’est d’une certaine façon un ras-le-bol, c'est une fronde pour essayer de faire bouger ces politiques-là. »

Une radicalisation rapide de la contestation

Le rédacteur en chef de Novastan s'interroge sur la radicalisation de ces émeutes. « Il y a quand même un point d’interrogation sur l’organisation de ces manifestations au sens où on a quand même eu une radicalisation très rapide, pointe-t-il. Au départ, on a des manifestations assez directes et précises le 2 janvier et, à partir du 5 janvier, on a vraiment une explosion de violences qui objectivement est assez improbable, en tout cas surprenante. Donc, aujourd’hui, se pose quand même la question de savoir comment on passe d’un mouvement qui était assez délimité sur le gaz naturel liquéfié à vraiment des émeutes ou des affrontements généralisés dans quelques villes, dans le pays. »

« Le régime kazakhstanais touche à sa fin, ce n'est plus qu’une question de temps », affirmait jeudi un dirigeant dissident réfugié en France Mukhtar Ablyazov. Recherché dans son pays d'origine ainsi qu'en Russie pour meurtres et détournement de fonds, l'ancien ministre de l'Énergie et président de la banque BTA a également décrit l’intervention militaire menée par la Russie comme une « occupation ». « Plus Poutine interviendra, plus le Kazakhstan deviendra comme l'Ukraine, un État ennemi pour la Russie. », a-t-il précisé.


Vous avez aimé cet article ? Partagez-le ...

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre commentaire sera publié après validation.