Au Burkina Faso, l’élection présidentielle dans "un climat de peur" face à la menace jihadiste

Après la Guinée et la Côte d’Ivoire, c’est au tour du Burkina Faso d’élire son président. Les Burkinabè sont appelés aux urnes, dimanche, pour ce scrutin qui se déroule dans un contexte sécuritaire précaire. Pour mieux comprendre les enjeux de cette élection, France 24 a interrogé Tanguy Quidelleur, chercheur à l’Institut des sciences sociales du politique, spécialiste du Burkina Faso.

Une affiche du parti présidentiel incite les électeurs à se rendre aux urnes à Ouagadougou le 5 novembre. © Olympia de Maismont, AFP

 

Après les présidentielles controversées de Guinée et de Côte d’Ivoire, le Burkina Faso rejoint le grand cycle électoral en Afrique de l’Ouest, qui s’achèvera au Niger le 27 décembre. Plus de cinq millions de Burkinabè sont appelés aux urnes, dimanche 22 novembre, pour ce scrutin législatif et présidentiel.

Élu au premier tour en 2015, Roch Marc Christian Kaboré, l’actuel chef de l'État, se représente face à 12 autres candidats, dont celui qui fut déjà son rival malheureux, Zéphirin Diabré, chef de file de l’opposition.

Le président sortant aura également face à lui le candidat du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), Eddie Komboïgo. Ce dernier préside le parti de l'ancien président, Blaise Campaoré, chassé du pouvoir après une insurrection populaire en octobre 2014. 

Contrairement à ses voisins, l’élection présidentielle de dimanche au Burkina Faso ne souffre d’aucune dispute constitutionnelle. Pourtant, le climat est loin d’être serein. Au cœur des préoccupations, la question sécuritaire.

 

Longtemps perçu comme un pays stable, le nord et l’est du Burkina Faso doivent faire face depuis cinq ans à une recrudescence d’attaques jihadistes. Quels sont les enjeux majeurs de cette élection? Éléments de réponse avec Tanguy Quidelleur, chercheur à l’Institut des Sciences sociales du politique, spécialiste du Burkina Faso et actuellement présent à Ouagadougou.

France 24 : L’élection de Roch Marc Christian Kaboré a suscité beaucoup d’espoir en 2015. Une page de l’histoire du pays se tournait après vingt-sept ans de règne de Blaise Campaoré. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Tanguy Quidelleur : Il y a une forme de désillusion après avoir mis tant d’espoir dans l’après-Blaise Campaoré. Devant la dégradation sécuritaire, le manque de perspectives économiques, on peut parfois entendre un discours nostalgique. Certains électeurs qui étaient foncièrement anti-Campaoré se demandent aujourd’hui si le jeu en valait la chandelle. C’est un climat politique assez morose et il n’y a pas beaucoup d’entrain autour du scrutin. 

Quand on discute avec le Burkinabè de la rue, on constate surtout une forme de résignation et la majorité n’a pas vraiment d’espoir de changement avec cette élection. Ils peinent déjà à assurer le quotidien. Les préoccupations tournent autour du coût de la vie et de l’accès aux denrées de première nécessité. Il faut dire aussi qu’il y a beaucoup de déplacés et que l’épidémie de Covid-19 a affecté de nombreuses activités.

Le bilan sécuritaire de Roch Marc Christian Kaboré est assez critiqué. On lui reproche également de trop s’appuyer sur des réseaux clientélistes. Lui met en avant le développement d’infrastructures, de routes, notamment pour réinvestir les zones dans lesquelles opèrent des groupes jihadistes.

Le scrutin se tient dans une situation sécuritaire extrêmement précaire. Depuis cinq ans, les attaques des groupes armés jihadistes dans le nord et l’est du pays ont fait quelque 1 200 morts et un million de déplacés. Cela a-t-il affecté le déroulement de la campagne ?

Pendant la campagne, assurer la sécurité des candidats et l’accessibilité à certaines zones a été extrêmement difficile. Les groupes jihadistes qui visent les représentants de l’État, les civils et les chefs religieux coutumiers ont aussi alimenté les tensions entre communautés. 

Cette campagne a été marquée par des violences et un climat de peur. D’ailleurs, elle a été suspendue le 11 novembre dernier lorsque 14 soldats ont été tués dans une embuscade. Le véhicule d’un député avait aussi été pris pour cible quelques jours plus tôt. L’attaque s’était soldée par la mort de son chauffeur. 

Dans ce contexte, des dizaines de milliers d’électeurs pourraient-ils renoncer à aller voter ?

Il va y avoir une rupture entre les centres urbains, bien sécurisés, qui vont pouvoir aller voter dimanche, et un monde rural où, dans de nombreuses localités, les gens ne pourront pas se rendre aux urnes. Il y aussi près d’un million de déplacés qui vivent dans des camps. 

Pour pallier cette situation, il y a eu une modification du Code électoral : en cas de circonstances exceptionnelles, si la tenue de l’élection ne peut avoir lieu dans certains bureaux de vote, le scrutin pourra quand même être validé. 

Cela revient à exclure une partie du corps électoral. Des gens ne pourront pas voter dans leur village. Ils ne se sentent pas représentés. Cela pose la question de la légitimité de ce scrutin.

L’autre enjeu majeur de cette élection est celui d’une "réconciliation nationale" après la chute de Blaise Campaoré. Malgré son absence, l’ancien président reste-t-il incontournable ?

La classe politique burkinabè a été formée et biberonnée par Blaise Campaoré. Certains acteurs politiques n’hésitent pas à parler d’un retour au pays de l’ancien chef de l’État dans le cadre de ce qu’ils appellent "une réconciliation nationale". Il s’agit essentiellement d’une stratégie pour séduire les nostalgiques de l’ancien régime et siphonner les voix du CDP, le parti historique de Blaise Campaoré.

Cet appel au retour est surtout symbolique, c’est une ressource dans le jeu politique car dans les faits, l’ancien président n’aura d’autre choix que de faire face à la justice. Ce retour et cette "réconciliation nationale" restent donc très hypothétiques. 


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