Kazakhstan: l'ordre en partie rétabli dans le pays, tension toujours vive à Almaty

L’ordre est progressivement restauré au Kazakhstan tandis que les manifestations dans le pays diminuent en importance, tout en restant pacifiques. Le pays reste sous état d’urgence et quasiment sans internet après six jours d’un mouvement de protestation déclenché par la hausse brutale du prix du gaz. La tension demeure assez vive à Almaty, la capitale économique du pays. Quelques tirs s’y faisaient encore entendre samedi matin.

 

Le président est prêt à tout pour mettre fin aux émeutes qui secouent le pays. Après avoir appelé la Russie et ses alliés en renfort qui ont envoyé des soldats, Kassym-Jomart Tokaïev a ordonné vendredi 7 janvier aux forces de l'ordre de « tirer pour tuer ». Le président du Kazakhstan refuse de négocier avec les manifestants. « Nous avons affaire à des bandits et à des terroristes qui ont été formés », a-t-il déclaré. Et Kassym-Jomart Tokaïev d'ajouter : « C'est pourquoi ils doivent être éliminés, et cela ne saurait tarder. »

Des propos qui suscitent de vives inquiétudes parmi les pays occidentaux : la présidente de la Commission européenne et le président français ont tous deux appelé « à la fin de la violence » et à la retenue. Alors que le président chinois, au contraire, a salué ce qu'il qualifie de « sens du devoir » de son homologue kazakhstanais.

Après une semaine de violence, la situation semblait plus calme vendredi dans une grande partie du pays. Ces derniers jours, les manifestations, parties des provinces, contre une hausse des prix du gaz, s'étaient rapidement étendues à toutes les grandes villes du Kazakhstan, tournant en violents affrontements entre protestataires et forces de l'ordre.

Règlement de compte au sommet à Almaty ?

À Almaty, la principale ville et capitale économique du pays, qui a connu les événements les plus violents conduisant à la mort de 26 civils, que le pouvoir qualifie d’« émeutiers », et de 18 policiers, c'est un calme relatif qui régnait vendredi. La plupart des magasins sont restés fermés vendredi. Dans les rares épiceries ouvertes, les rayons sont presque vides. Et la population craint une pénurie de produits alimentaires. 

Que se passe-t-il à Almaty ? C’est la question que posent nombre d’observateurs du pays, sous-entendant que les événements qui s’y sont déroulés cette semaine relevaient d’une autre logique que le reste des manifestations que connaît le pays depuis le 2 janvier, explique notre correspondant pour l’Asie centrale, Régis Genté. Au sujet d’Almaty, le président Kassym-Jomart Tokaïev parle de terrorisme et de banditisme, un vocabulaire qui semble sans rapport avec la réalité.

Mais on observe à Almaty une violence organisée, des pillages et des insurgés munis d’armes. Des indices concordants laissent penser que des membres du clan de l’ancien président Noursoultan Nazarbaïev auraient organisé le chaos, sentant que les événements en cours allaient leur faire perdre leurs positions et leur fortune, ceux-ci étant immensément riches comme l’ensemble de la famille de l’ex-chef de l’État.

Depuis mercredi, celui-ci n’est plus en charge du Conseil de sécurité national, organe qu’il dirigeait depuis qu’il a quitté le fauteuil de président en mars 2019, faisant dudit Conseil le cœur véritable du pouvoir de l’ancienne république soviétique. Dans la semaine, nombre de ses hommes clés ont été démis de leur fonction, comme le Premier Ministre Askar Mamine, le chef des services de sécurité Karim Massimov, incarcéré, ou son numéro deux Samat Abich, le puissant neveu de Noursoultan Nazarbaïev. 

Comment interpréter l'arrestation du puissant chef du KNB ?

L'arrestation du puissant chef du KNB est hautement symboliquement. Karim Massimov, c’était l’homme de Noursoultan Nazarbaïev. Depuis 2019, l'ex-président était demeuré l’homme le plus puissant du pays en prenant la tête du Conseil de sécurité national, devenu le vrai centre du pouvoir de l’ex-république soviétique.

Le nouveau président, Kassym-Jomart Tokaïev, devait se contenter des miettes du pouvoir. Mais malgré tout, il était président, et le rôle de Karim Massimov a été de veiller à ce que les rouages du pouvoir, sécuritaires, politiques, économiques, restent sous le contrôle de Noursoultan Nazarbaïev et de son clan.

Des dizaines de milliards de fortune sont en jeu, acquises dans des conditions troubles. Pour cela, Massimov a dû faire des choses qui n’ont pas plu à Kassym-Jomart Tokaïev, qui a pris le véritable pouvoir mercredi, en prenant les commandes du Conseil de sécurité.

Le chef du KNB aurait été arrêté le 6 janvier, le jour où il a été démis de ses fonctions. Une enquête préliminaire a été ouverte pour haute trahison. 

Quel qu’ait pu être le rôle joué par le clan Nazarbaïev durant les derniers jours, il est clair à présent que son successeur à la tête du pays a décidé de profiter de la situation pour asseoir définitivement son autorité, analyse Daniel Vallot, journaliste au service international de RFI.

Kassym-Jomart Tokaïev agit avec le soutien de la Russie : non seulement Moscou a accepté d’envoyer des soldats pour l’aider à réprimer le mouvement de contestation, mais ce samedi matin, Vladimir Poutine a accordé un entretien téléphonique au nouvel homme fort du Kazakhstan. Une « longue conversation », précise le Kremlin, au cours de laquelle le président russe et Kassym-Jomart Tokaïev ont décidé de rester en contact « permanent ». Dans la lutte qui se joue en coulisse au sein des élites du pays, Moscou a choisi de soutenir le président actuel, au détriment de son ancien allié. 

La crainte d'une répression massive

Ce samedi, Noursoultan Nazarbaïev a en tout cas appelé par la voix de son porte-parole Aidos Ukibay sur Twitter « tous les citoyens à se rassembler autour du président du Kazakhstan pour lui permettre de surmonter cette crise et de garantir l'intégrité du pays ».

Signe que la situation n'est pas encore sous contrôle : internet est toujours coupé au Kazakhstan et l'aéroport d'Almaty reste pour l'instant fermé. Selon les informations du quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, des troupes russes auraient commencé à patrouiller dans les rues de la mégapole vendredi soir.

Daniyar Khassenov, un militant des droits de l’homme basé à Londres, craint que la répression s’accentue et que les forces étrangères restent dans le pays. « C’est ce qui se passe dans n’importe quel pays autoritaire, pointe-t-il. Après de grandes manifestations, les autorités intensifient la répression contre les gens : tortures, poursuites judiciaires... Nous le craignons car le président dit qu’il veut traduire tout le monde en justice et les gens risquent des peines de prison. Je ne pense pas que l’on puisse trouver des preuves comme quoi ces gens ont mené des actions soi-disant terroristes. Deuxièmement, ils disent que la présence des troupes étrangères est temporaire au Kazakhstan, mais je pense que les troupes russes, certaines d’entre elles au moins, vont rester d’une manière ou d’une autre afin d’étendre leur influence et d’augmenter cette influence russe au Kazakhstan dans nos affaires internes. On l’a bien vu en Ukraine, en Syrie, en Centrafrique, dès qu’ils pénètrent dans un pays, ils n’en partent pas. »

Avec Rfi


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