La tabloïd Apple Daily a été la cible, ces derniers jours, d’une vaste offensive de la part des autorités de Hong Kong au nom de la très controversée loi sur la sécurité nationale. Le quotidien, devenu en 25 ans l’une des principales voix du camp des démocrates, risque de devoir fermer dans les jours à venir.

La tabloïd Apple Daily a été la cible, ces derniers jours, d’une vaste offensive de la part des autorités de Hong Kong au nom de la très controversée loi sur la sécurité nationale. Le quotidien, devenu en 25 ans l’une des principales voix du camp des démocrates, risque de devoir fermer dans les jours à venir.

 

Apple Daily aura au moins célébré son 26e anniversaire, dimanche 20 juin. Mais le populaire quotidien hongkongais ne tiendra peut-être plus très longtemps. L'équipe du journal doit se réunir, lundi, pour trouver des moyens de survivre au-delà de cette semaine.

"Nous pensions pouvoir tenir jusqu'à la fin du mois au moins, mais en réalité [la survie] est une question de jours maintenant", a déclaré à Reuters Mark Simon, un conseiller de Jimmy Lai, le propriétaire du quotidien, actuellement en prison.

"Sans argent, pas d'information"

Apple Daily a subi une offensive sans précédent, ces derniers jours, de la part du gouvernement pro-Pékin en place à Hong Kong. Plusieurs de ces journalistes, dont le rédacteur en chef Ryan Law, ont été arrêtés jeudi, et accusés de collusion avec des puissances étrangères. Les forces de l'ordre ont effectué une descente pour saisir des documents et les ordinateurs de la rédaction.

 

Une opération de police qui a obligé les équipes d'Apple Daily a faire preuve d'imagination, en fin de semaine, pour boucler les éditions, branchant des claviers à leurs téléphones portables pour écrire leurs articles, raconte le quotidien britannique The Guardian. Le tout sous le regard de journalistes de médias locaux concurrents, venus filmer et diffuser en direct sur Internet la descente aux enfers du deuxième quotidien le plus lus de Hong Kong.

Les comptes du groupe ont aussi été gelés et près de trois millions de dollars d'actifs ont été saisis en application de la très controversée nouvelle loi sur la sécurité nationale, adoptée en juin 2020. "La décision de bloquer l'accès à tous les comptes du groupe est ce qui nous importe le plus, car sans argent, nous ne pouvons pas produire d'information", a regretté Mark Simon, interrogé par The Guardian. Il estime que leur réserve leur permettra de couvrir quelques semaines de frais courants, mais pas de payer les journalistes ou les dépenses de reportage en plus.

Les efforts du gouvernement de Carrie Lam pour museler Apple Daily est le dernier acte d'un long combat entre les autorités locales et ce quotidien qui a, depuis sa création en 1995, été le principal poil à gratter médiatique du régime de Pékin.

Un tabloïd engagé

Pourtant, à ses débuts, Apple Daily n'avait pas fait de la critique du pouvoir son principal argument de vente. Le quotidien voulait d'abord vendre du fait divers, du potin de star, avec des titres sensationnalistes.

Un vrai tabloïd dont "l'arrivée a profondément modifié l'écosystème de la presse à Hong Kong, surtout après la rétrocession de la ville en 1997", écrivait le politologue hongkongais Ma Ngok dans une étude du paysage médiatique hongkongais au tournant du XXIe siècle, publiée en 2007. 

Il a notamment frappé un grand coup en étant le premier quotidien à deux dollars, alors que le cartel des journaux hongkongais avait établi un prix de vente de cinq dollars pour la presse quotidienne. Cette politique tarifaire agressive a entraîné "la fin de huit concurrents locaux en six mois", rappelle le site The Diplomat, dans une longue enquête consacrée à l'impact du Apple Daily sur Hong Kong, publiée en décembre 2020.

Le fondateur du quotidien, Jimmy Lai, n'a pas tardé à donner un ton beaucoup plus politique à Apple Daily. Après tout, cet homme d'affaires engagé avait décidé de se lancer dans les médias "après la répression des manifestations estudiantines sur la place Tiananmen en 1989", souligne la BBC.

Dès 2003, le quotidien a résolument pris le parti du mouvement prodémocratie lors des premières manifestations contre un projet de loi de sécurité nationale que Pékin avait tenté de faire adopter par le Parlement hongkongais. "Rendez-vous dans la rue !", avait titré le journal de Jimmy Lai le jour du débat parlementaire du texte.

Même chose en 2012, lors du débat autour d'une réforme de l'éducation qui avait été qualifiée par le camp démocrate de tentative de "lavage de cerveaux" orchestrée par Pékin. "Défendons la dignité de Hong Kong dans la rue", avait alors lancé Apple Daily.

Jimmy Lai, fondateur d'Apple Daily, a été identifié en arrière-plan de cette couverture de Time consacrée aux manifestations à Hong Kong en 2014. © Montage Reuters Institute

 

À l'époque du "Mouvement des parapluies" en 2014, puis durant les manifestations de 2019 contre le gouvernement de Carrie Lam, Apple Daily a souvent été considéré comme la voix de l'opposition. Jimmy Lai apparaît même en arrière-plan de la photo de couverture du Time consacré aux manifestations de 2014.

Tentative d'assassinat et engin explosif

Cet activisme a valu plus d'une misère à Jimmy Lai et à son journal. Avant d'être incarcéré en août 2020, le fondateur du quotidien a été la cible d'une tentative d'assassinat en 2009, et sa demeure à Hong Kong a été la cible de plusieurs actes de vandalisme. 

Un engin explosif avait aussi été découvert non loin du siège de Next, la maison mère d'Apple Daily, en 2015, souligne le New York Times. Le quotidien a toujours eu du mal à trouver des annonceurs, et ses journalistes sont persona non grata pour la plupart des grands événements organisés par la Chine, comme les Jeux olympiques en 2008.

Le quotidien a donc l'habitude d'être la bête noire à abattre du pouvoir hongkongais pro-Pékin. Mais cette fois-ci, l'offensive dont il est la victime semble faire partie d'une tentative bien plus vaste de mettre tout le paysage médiatique local au pas.

Depuis les manifestations de 2019, le gouvernement a fortement resserré l'étau autour de la presse à Hong Kong. Le territoire est passé, en moins de deux ans, de la 18e à la 80e place au classement de la liberté de la presse de Reporters sans Frontières. 

Début juin, la chaîne de télévision publique RTHK, connue pour ses programmes irrévérencieux à l'égard du pouvoir chinois, a décidé, pour la première fois, de ne pas "faire de sujet politique" autour de l'anniversaire des événements de Tiananmen. Une décision qui a choqué une partie de la rédaction, très attachée à son indépendance, souligne The Guardian, qui a pu discuter avec plusieurs journalistes de la RTHK. 

L'un d'entre eux avait averti que la prochaine cible du pouvoir serait Apple Daily, "probablement en septembre avant les élections législatives de décembre". Finalement, les autorités n'auront pas attendu aussi longtemps. 

 


Vous avez aimé cet article ? Partagez-le ...

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre commentaire sera publié après validation.