Hongrie: les LGBT+ et l’identité de genre, nouvelles cibles de Viktor Orban

Avant le retour au pouvoir de Viktor Orban en 2010, la Hongrie était l’un des pays les plus progressistes de la région en matière de minorités sexuelles. L'homosexualité y avait été dépénalisée dès le début des années 1960 et l’union civile entre conjoints de même sexe reconnue dès 1996. Ce 15 juin 2021, le parti de droite nationaliste du Premier ministre a adopté une loi qui interdit la promotion de l’homosexualité et du changement de sexe auprès des enfants.

 

La colère n’est pas retombée. Mercredi 16 juin, deux jours après s’être rassemblés par milliers sur la place Kossuth où trône le Parlement, les Budapestois manifesteront de nouveau, cette fois devant le palais du président de la République, Janos Ader. Objet du courroux : la législation votée le 15 juin par la droite nationaliste (Fidesz) du Premier ministre Viktor Orban et par le Jobbik, droite radicale. Destiné à renforcer les sanctions contre les pédophiles, le texte a été modifié au dernier moment. Il inclut des amendements qui interdisent de faire la promotion de l’homosexualité auprès des mineurs. « La pornographie et les contenus qui représentent la sexualité ou promeuvent la déviation de l'identité de genre, le changement de sexe et l'homosexualité ne doivent pas être accessibles aux moins de 18 ans », indique-t-il.Viktor Orban marche dans les pas de Vladimir Poutine, dénoncent l’opposition et les défenseurs des droits, qui dénoncent l'amalgame entre pédophilie et minorités sexuelles, et pointent la similitude du texte avec une loi russe.

La communauté LGBT+, le nouvel ennemi

En 2010, lorsque Viktor Orban revient au pouvoir, après huit ans passés dans l’opposition, les minorités sexuelles sont le moindre de ses soucis. Le chef de la droite magyare est occupé à mettre les medias au pas et à prendre le contrôle de toutes les institutions pour gouverner sans partage. Et la Hongrie surfe encore sur une vague libérale. Après avoir été le premier membre du bloc soviétique à dépénaliser l’homosexualité dans les années 60, le pays continue à s’ouvrir aux idées progressistes et autorise, en 1996, l’union civile entre conjoints de même sexe.

En 2015, l’afflux de réfugiés en Europe fournit à Orban l’occasion de lancer une campagne anti-migrants, soi-disant orchestrée par George Soros et ses alliés libéraux de gauche. Menée tambour battant, la campagne commence à s’essouffler trois ans plus tard. La droite hongroise, qui jusqu’alors considérait l’homosexualité comme une question privée, commence à en parler comme d’une maladie qu’il faut guérir. Le président du Parlement, Laszlo Kövér, qualifie les couples homosexuels de « pédophiles » qui veulent adopter un enfant afin d’avoir un jouet pour s’amuser. « Ce gouvernement essaie toujours de trouver un ennemi. Ensuite, il monte une campagne de communication contre sa cible, et puis il fait voter des lois discriminatives. Il l’a fait avec les sans-abri, les migrants, les ONG… J’ai peur que cette fois, la cible soit la communauté LGBT », analyse alors Tamas Dombos, de l’association Hattér, qui défend les droits des minorités sexuelles.

 

Virage à droite toute

En juillet 2018, la Gay Pride se déroule sous haute surveillance policière et des milliers de participants défilent sous un soleil radieux… mais dans des rues vides, interdites aux passants. Un nouveau groupe d’extrême-droite, « Notre Patrie », a appelé à interdire la marche. Vêtus d’un tee-shirt noir arborant le slogan « Les gens normaux », ses membres narguent les manifestants de loin. Le 23 octobre 2019, date anniversaire de l’insurrection de 1956, des extrémistes célèbrent ce jour de fête nationale en brûlant le drapeau arc-en-ciel. Pour Viktoria Radvanyi, porte-parole de la Budapest Pride, cet incident n’est pas le fruit du hasard. « Le gouvernement commence à se montrer ouvertement hostile aux LGBT. Et nous voyons un lien entre l’attitude du gouvernement et l’action des néo-nazis. Avant 2019, ces extrémistes ne s’intéressaient pas vraiment aux LGBT. Une poignée manifestait contre nous pendant la Gay Pride, mais ça s’arrêtait là. Et avec l’aide de la police, on gérait la situation », déclare-t-elle alors à RFI.

L’histoire d’Elvira et de Tamara illustre parfaitement le virage à droite du gouvernement Orban. Auparavant, Elvira était un homme, marié et père de famille. Après avoir changé de sexe, elle décide en 2013 de faire reconnaître sa nouvelle identité à l’état civil. Depuis le début des années 90, les transgenres peuvent facilement changer de papiers, bien qu’aucune loi précise n’encadre la procédure. Elvira reçoit sa nouvelle carte d’identité en quatre mois. « À l’époque, l’administration était très pragmatique. Les fonctionnaires ont modifié rétroactivement le registre des naissances en y inscrivant, à côté de mon nom, "sexe féminin" ; tout le monde a été très courtois avec moi », raconte-t-elle.

Tamara, également transgenre, n’a pas eu la même chance. Lorsqu’en 2018, elle dépose sa demande de changement de papiers, l’administration a suspendu toutes les requêtes. En mai 2020, la droite au pouvoir adopte un amendement qui empêche d’inscrire un changement de sexe à l’état civil. L’administration rejette définitivement la demande de Tamara. Après avoir banni le mariage gay et les études de genre à l’université, la droite souverainiste d’Orban modifie la Constitution le 15 décembre 2020. « La mère est une femme, le père est un homme », proclame le texte qui définit le sexe comme étant uniquement celui de la naissance.

La question LGBT+, un écran de fumée

Ce même jour de 2020, la droite magyare vote une autre loi cruciale, qui redéfinit l’argent public, comme les « dépenses et créances de l’État ». Désormais, les actifs des fondations et des entreprises d’État - par exemple la société nationale d’électricité - sont considérés comme de l’argent privé et échapperont au contrôle de l’opposition. Pour l’ONG Transparency International, cette redéfinition de l’argent public est la porte ouverte à plus de corruption.

Mais cette loi passe inaperçue ; la modification de la Constitution occupe toutes les Unes. Écran de fumée idéale, la question LGBT est aussi un outil tactique pour Viktor Orban. Le texte voté mardi 15 juin associe sanctions contre les pédophiles et interdiction de la « promotion » de l’homosexualité. Cet amalgame entre pédophiles et homosexuels est inadmissible, dénonce Akos Hadhazy, député d’opposition, qui a boycotté le texte. Mais la presse pro-Orban peut ainsi tirer à boulets rouges sur l’opposition qui soutient les pédophiles en « refusant de voter des sanctions contre eux ». Un argument de poids pour Orban, qui fourbit déjà ses armes en vue des législatives de 2022. « C’est un piège diabolique, mais le seul choix moral était de ne pas voter ce texte », soupire Akos Hadhazy.

 


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