Comment les leçons tirées de la lutte contre le sida servent à combattre le Covid-19

Communication, vaccins, réactions politiques… Quarante ans après la première alerte lancée par le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies d’Atlanta (CDC), marquant le début de l'épidémie de sida, retour sur les leçons tirées d'une pandémie à l'autre.

 

« L’apport de la recherche contre le VIH a joué un rôle central dans la mise en place rapide de vaccins contre le SARS-Cov-2 », affirme l’immunologiste spécialisé en vaccinologie Jean-Daniel Lelièvre. Comme beaucoup de ses confrères et consœurs, ce spécialiste du sida a basculé dans la recherche contre le Covid-19. Et pour lui, le transfert d’expérience est évident entre les deux pathologies, même s’il faut rappeler qu’elles restent très différentes. « On guérit du Covid, on ne guérit pas du sida, et le VIH mute bien plus que le SARS-Cov-2, souligne-t-il. Il est donc plus simple de produire un vaccin contre le SARS-Cov-2 que contre le VIH. La rapidité de mise en œuvre des vaccins y doit beaucoup, d’autant que les coronavirus étaient déjà connus. »

Mais les vaccins contre le Covid-19 ont également fortement bénéficié des avancées de la recherche contre le VIH. « Les plateformes vaccinales utilisées par les vaccins contre le Covid-19 ont été élaborées pour lutter contre le VIH, explique Jean Daniel Lelièvre. Nous travaillions dessus depuis plusieurs années, afin d’aller plus vite dans le développement des vaccins. Cette nouvelle technique permet d’introduire un morceau du code génétique du virus dans un vecteur viral, comme pour le vaccin AstraZeneca ou Jansen, ou dans un ARN messager, comme pour le Pfizer. Cela permet de produire les protéines qui induisent une réponse immunitaire plus simplement, directement dans le corps, et très rapidement. »

Déjà connues des spécialistes des vaccins, l’utilisation à très large échelle de ces plateformes vaccinales contre le Covid-19 a prouvé leur efficacité, et ouvre donc de nouvelles perspectives à la recherche contre le VIH. « D’autant, ajoute Jean Daniel Lelièvre, que cette nouvelle pandémie souligne une fois de plus la nécessité absolue d’avoir des vaccins pour lutter réellement contre les maladies, et de ne pas se limiter aux seuls traitements. »

Aller au plus près des communautés

Hors des laboratoires, les leçons du sida ont également beaucoup servi à la gestion de la pandémie sur le terrain. « La lutte contre le VIH a considérablement apporté à la lutte contre le Covid-19, amorce Florence Thune, la directrice générale de Sidaction. Cette nouvelle pandémie a renforcé nos certitudes : il est fondamental de développer des actions de terrain et d’aller au plus près des populations concernées. »

 

Pendant le premier confinement en France, par exemple, les personnes souffrant de maladie chronique - comme le sida - avait le droit d’aller à la pharmacie renouveler leur traitement même si leur ordonnance était périmée. Mais beaucoup l’ignoraient. Conscientes du problème, les associations ont mené un travail d’information et ont ainsi évité l’aggravation des pathologies.

 « Une des leçons du sida, explique Florence Thune, est qu’il ne faut pas penser que les messages délivrés au niveau national sont nécessairement compris par tout le monde. Le sida avait déjà mis en évidence des inégalités territoriales d’accès aux soins, et le Covid a encore souligné ce constat. »

L’expérience des associations contre le sida a également permis de lutter contre les discriminations. « Les personnes d’origine asiatique ont été ciblées au début de la pandémierappelle Florence Thune, tout comme les homosexuels l’avaient été pour le sida. Notre expérience nous a prouvé le rôle incontournable du terrain, des associations et des acteurs communautaires pour donner la bonne information, lutter contre les fausses idées et les théories complotistes qui se développent dans ce type de contexte. »

C’est donc l’expérience développée par les militants et les associations dans la lutte contre le VIH qui leur a permis de se montrer particulièrement réactifs lorsque la pandémie de Covid-19 s’est déclenchée. L’Onusida remarque ainsi dans un communiqué du 3 juin 2021 l’efficacité des mesures développées par certains pays « très performants » pour stopper les pandémies, qu’elles soient causées par le VIH ou par le coronavirus.

Des réactions politiques rapides

La directrice exécutive de l'Onusida, Karagwa Byanyima, y loue le « financement […], l'implication véritable des communautés, [les] approches […] fondées sur les droits, ainsi que l’utilisation de données scientifiques pour guider les stratégies ciblées, [qui] ont inversé le sens de l'épidémie et sauvé des vies. Ces éléments sont précieux pour se préparer aux pandémies et pour apporter une riposte au VIH, au Covid-19 et à de nombreuses autres maladies. »

Les leçons tirées de la pandémie de VIH se sont ainsi traduites en termes politiques sur le continent africain, observe Fred Eboko, politologue spécialisé dans les politiques de santé publique, représentant en Côte d’Ivoire de l’Institut de recherche pour le développement (IRD). « La majorité des décideurs politiques et sanitaires africains ont réagi de manière précoce contre le Covid-19, en anticipant souvent davantage que les pays du Nord, analyse-t-il. La rapidité de décision dont ils ont fait preuve est liée à leur expérience des épidémies de VIH et d’Ebola. »

Un sang-froid également partagé selon lui par le personnel soignant : « Malgré le manque de moyens et des conditions de travail déplorables, et à quelques exceptions près, les soignants se sont montrés aguerris face au Covid-19, ils n’ont pas cédé à la panique, et c’est sans doute grâce aux épidémies précédentes auxquelles ils ont été confrontés. »

Sortir de la « logique de dons »

Mais la comparaison entre les deux épidémies en Afrique reste néanmoins difficile, puisque le continent n’a été que peu touché par le Covid alors qu’il a été la première victime du VIH. « D’une pandémie à l’autre, ce qui revient, c’est la fragilité des systèmes de santé dans les différents pays africains, souligne néanmoins Fred Eboko. En quarante ans, nous n’avons que très peu avancé sur ce point-là. Si le mécanisme Covax [initiative ayant pour but d'assurer un accès équitable à la vaccination contre le Covid-19 dans 200 pays, ndlr] s’inspire de ce qui a été développé contre le sida par le Fonds mondial, avec l’accès à des médicaments subventionnés, l’Afrique continue d’avoir besoin d’investissements massifs dans ses différents systèmes de santé. »

Florence Thune ne dit pas autre chose : « Grâce à la mobilisation acharnée des militants pendant les années 2000, les industries pharmaceutiques ont accepté de baisser les prix des traitements contre le sida et de lever certains brevets pour que les pays les plus pauvres puissent y avoir accès. Mais il faut recommencer à se battre pour chaque nouveau traitement. On reste sur une logique de dons, d’aumônes, sans transférer les technologies, c’est une logique de court terme. Tant qu’on n’avancera pas sur l’idée d’une couverture santé universelle, les épidémies poseront à chaque fois les mêmes questions. »

 


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