Iran : qui était Mohsen Fakhrizadeh, le physicien nucléaire assassiné ?

Mohsen Fakhrizadeh, le scientifique iranien dont l'assassinat vendredi est attribué à Israël, fait partie de ces hommes qui accèdent à une notoriété posthume. Mais les hommages rendus ce week-end, notamment celui du ministre de la Défense qui le considérait comme son vice-ministre, montrent à quel point le physicien n'était pas un illustre inconnu.

 

Sans ce drame, Mohsen Fakhrizadeh "aurait pu rester inconnu", a déclaré le ministre de la Défense, le général Amir Hatami, incapable de retenir ses larmes devant la dépouille du scientifique "martyr", lundi 30 novembre. "Mais aujourd'hui, celui qui n'était jusque-là qu'une idole pour ses étudiants et collègues est révélé au monde entier", a-t-il ajouté.

Mohsen Fakhrizadeh était loin d'être un anonyme aux yeux des autorités iraniennes. Le physicien avait rencontré le guide suprême iranien Ali Khamenei en janvier 2019, comme en témoignent des photos officielles diffusées après son décès. Le chef d'état-major des forces armées, le général de division Mohammad Baghéri, a promis qu'une "vengeance terrible" s'abattrait sur ses assassins.

L'assassinat du scientifique, qui circulait dans une voiture blindée et bénéficiait d'une escorte armée, est aussi la preuve de sa notoriété. Les autorités iraniennes mettent en cause Israël et les Moujahidines du Peuple et qualifient l'attaque d'"opération complexe" avec un "style et [une] méthode complètement nouveaux".

Le ministre de la Défense a présenté Mohsen Fakhrizadeh comme son vice-ministre et chef de l'Organisation de la recherche et de l'innovation en matière de défense (Sépand, selon l'acronyme en persan). Quel rôle exact jouait ce physicien nucléaire à la barbe grisonnante, aux épaules carrées et bedonnant, âgé de 59 ans selon la presse iranienne ?

 

Était-il ce haut responsable qui "gérait la défense anti-atomique", faisant "un travail considérable" dans ce domaine et ayant joué un "rôle marquant dans les innovations de défense" de son pays, comme l'a affirmé Amir Hatami ? Ou, comme l'affirmait le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu en avril 2018, le chef d'un programme nucléaire secret à vocation militaire dont Téhéran a toujours nié l'existence ?

Pour Karim Sadjadpour, du cercle de réflexion américain Fondation Carnegie pour la paix internationale, "il faudra vraisemblablement des mois si ce n'est des années pour apprécier toutes les conséquences de la mort de Fakhrizadeh".

"Cible numéro 1 du Mossad"

"Ceux qui ont véritablement compris le rôle précis qu'il jouait au quotidien dans les activités nucléaires de l'Iran ne parlent pas, et ceux qui parlent ne savent pas", a-t-il tweeté.

Des médias américains l'ont qualifié de "cible numéro 1 du Mossad", l'agence de renseignement israélienne, et de "cerveau du programme nucléaire iranien". "Nous savions qu'il avait été menacé d'être assassiné à plusieurs reprises et qu'il était suivi", a déclaré le général Hatami.

Avant que Benjamin Netanyahu ne parle de lui, le nom de Mohsen Fakhrizadeh était apparu en décembre 2015 dans un document de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

Cet organe de l'ONU estimait qu'il avait dirigé, à partir du "début des années 2000", des "activités à l'appui d'une dimension militaire possible" du programme nucléaire iranien commencées "à la fin des années 1980" avant d'être regroupées sous sa direction dans un projet baptisé AMAD, jusqu'à être abandonnées "fin 2003".

Visé par des sanctions de l'ONU

En mars 2007, le même Fakhrizadeh avait été visé par des sanctions du Conseil de sécurité de l'ONU avec d'autres "personnes concourant au programme nucléaire ou de missiles balistiques" de l'Iran.

La résolution 1747 du Conseil l'identifiait comme "chargé de recherches au ministère de la Défense" et "ex-chef du Centre de recherche en physique (PHRC)", notant que "l'AIEA avait demandé à l'interroger sur les activités du PHRC au cours de la période où il y travaillait, mais (qu'elle avait) essuyé un refus de l'Iran".

Ces sanctions ont été levées après l'entrée en vigueur de l'accord international sur le nucléaire iranien conclu à Vienne en 2015 entre la République islamique et le groupe 5+1 (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie, Allemagne).

Après la décision du président américain Donald Trump de sortir son pays de ce pacte en 2018, les sanctions édictées par Washington en 2008 contre Fakhrizadeh dans le sillage de la résolution 1747 avaient été rétablies.

Lien avec Fereydoun Abbassi Davani, ex-chef de l'OIEA

Selon le vice-président iranien, Ali Akbar Saléhi, chef de l'Organisation iranienne de l'énergie atomique (OIEA), Fakhrizadeh avait obtenu un doctorat en "physique et ingénierie nucléaire" et avait travaillé pour sa thèse avec Fereydoun Abbassi Davani, ex-chef de l'OIEA lui-même visé par une tentative d'assassinat en 2010.

Évoquant pour des médias d'État la mémoire d'un "ami proche" et d'"une collaboration professionnelle étroite de trente-quatre ans", ce dernier a indiqué avoir été au front avec Fakhrizadeh pendant la guerre entre l'Irak et l'Iran (1980-1988).

Il a "travaillé dans tous les domaines à supporter les activités nucléaires du pays", notamment dans celui de "l'enrichissement" de l'uranium, a poursuivi l'ancien chef de l'OEIA, c'était "un gestionnaire compétent et un scientifique prestigieux, et il peut être élevé au même rang que le martyr Soleimani [le général Qassem Soleimani éliminé en janvier par Washington était commandant des Gardiens de la Révolution] dans le domaine des sciences et techniques".

"Son travail était important à ses yeux", a déclaré sa veuve à la télévision d'État quelques heures après l'assassinat. C'était "un époux gentil et compatissant, et il aimait son pays. Je demande [aux responsables] de poursuivre sur la voie qu'il a tracée afin que son sang n'ait pas été versé en vain". Selon Hamed Fakhrizadeh, leur fils, sa mère était dans la voiture avec son père au moment de l'attaque.


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