Il y a 75 ans, s'ouvrait à Nuremberg le plus grand procès de l'histoire

Quelque 300 000 témoignages, 6 600 pièces à conviction, étayés par 42 volumes d’archives… Six mois seulement après la fin de la seconde guerre mondiale, le procès de 21 dignitaires nazis s’ouvre le 20 novembre 1945 à Nuremberg marquant l'acte de naissance de la justice internationale.

Photo d'archive du 20 novembre 1945, la police militaire fait surveille la salle d'audience lors de la première séance du matin à Nuremberg. Au premier plan, les accusés avec leurs avocats assis devant eux. © B.I. Sanders, AP

 

Le 20 novembre 1945, à Nuremberg, à 10 heures du matin, vingt et un des plus hauts dirigeants du régime nazi se présentaient devant un tribunal international exceptionnel et en public pour y répondre de leurs crimes. "La véritable partie plaignante à la barre, c'est la civilisation", déclarait alors le procureur américain Robert Jackson, dans la salle d'audience 600 du tribunal, en présence de centaines de journalistes. 

Soixante-quinze ans plus tard, en raison de la pandémie, cette cérémonie commémorative se tiendra sans public dans la même salle d'audience 600, là même où ont été jugés Hermann Göring, ancien numéro 2 du régime, Joachim von Ribbentrop ou encore Rudolf Hess, ancien adjoint d'Adolf Hitler après les suicides d'Adolf Hitler, de Joseph Goebbels et Heinrich Himmler. 

Frank-Walter Steinmeier, actuel président de la République fédérale, autorité morale très respectée en Allemagne, prononcera un discours en début de soirée depuis Nuremberg, dans un contexte marqué en Allemagne par une montée de l'extrême droite et de l'antisémitisme. 

 

Cette cérémonie marque le point de départ de plusieurs événements organisés, le plus souvent en ligne, à l'occasion de ce 75e anniversaire, dont la prise de parole, le 26 novembre, d'artistes sur la signification de ce procès ou la tenue de tables rondes d'historiens. 

 

Un procès sans précédent 

L'occasion pour les spécialistes de revenir sur ce procès hors-norme qui s'est tenu dans une ville en ruines, mais dont le palais de justice relié à une prison était encore debout. Nuremberg, ancienne cité impériale, reste depuis la ville symbole du nazisme où Hitler tenait ses grands rassemblements et où ont été promulguées en 1935 les lois anti-juives. 

Depuis 1943, les puissances alliées réfléchissaient au sort des criminels de guerre allemands. Avant même la capitulation, le principe d'un procès sans précédent, devant un tribunal international et en public, est arrêté. Six mois seulement après la fin des hostilités, les procureurs, qui sont comme les juges issus des quatre puissances alliées, réunissent 300 000 témoignages et quelque 6 600 pièces à conviction, étayés par 42 volumes d'archives.  

Les accusés doivent répondre de complot, crimes de guerre, crimes contre la paix et, pour la première fois de l'histoire, de crimes contre l'humanité. Ceux-ci sont définis comme "l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commis contre toute population civile, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux". La notion de génocide ne sera, elle, reconnue dans le droit international qu'en 1948. 

Le choc des images  

Tous les accusés plaident "nicht schuldig" ("non coupable"). La projection d'un film tourné par les Alliés et les témoignages de survivants des camps nazis révèlent au monde l'ampleur des crimes du IIIe Reich. Le document donne rapidement une autre dimension au procès. "Sauckel frémit à la vue du four crématoire de Buchenwald. Quand on montre un abat-jour en peau humaine, Streicher dit : 'Je ne crois pas ça'. […] Frick secoue la tête, l'air incrédule, quand une doctoresse décrit le traitement et les expériences infligées à des prisonnières de Belsen", décrira le psychologue de la prison pour la durée du procès, Gustave M. Gilbert, dans "Le Journal de Nuremberg" (1947).  

Parmi les 33 témoins de l'accusation, la résistante française Marie-Claude Vaillant-Couturier, survivante des camps d'Auschwitz-Birkenau puis de Ravensbrück, livre un récit implacable de plus de deux heures : les femmes qui accouchaient et dont les nouveau-nés étaient noyés sous leurs yeux, les détenues contraintes de boire l'eau des flaques avant de s'y laver, l'appel à trois heures du matin... 

"Avant de prendre la parole devant la cour, je suis passée devant les accusés, très lentement. Je voulais les regarder de près. Je me demandais à quoi pouvaient ressembler des gens capables de crimes si monstrueux", confia-t-elle au quotidien français L'Humanité. 

Le verdict tombe le 1er octobre 1946 : douze condamnations à mort (dont une par contumace pour Martin Bormann, le secrétaire de Hitler, dont on ignore alors la mort), trois condamnations à la prison à vie, deux peines de vingt ans de prison, une de quinze ans et une de dix ans. 

Trois des accusés échappent à la prison. Des acquittements qui surprennent les observateurs à l'époque, mais les instigateurs du procès répondent aux détracteurs qu'ils le voulaient "équitable". 

Des critiques  

Inédit dans sa forme, le procès de Nuremberg n'échappe cependant pas à la critique d'une justice faite par les vainqueurs et n'est pas exempt de zones d'ombres (le massacre de Katyn que l'accusation soviétique essaye en vain d'imputer aux nazis, le pacte germano-soviétique escamoté des débats…). 

Le 16 octobre 1946 à 1 heure du matin, dix des condamnés à mort sont pendus. Hermann Goering s'est suicidé quelques heures auparavant dans sa cellule en avalant une capsule de cyanure pour échapper à une pendaison qu'il jugeait indigne d'un soldat. 

Tous les corps, y compris celui de Goering, sont incinérés et leurs cendres répandues dans un affluent de l'Isar, pour éviter que leurs tombes ne deviennent des lieux de rassemblements. 

Nuremberg sera le lieu de douze autres procès de responsables nazis (docteurs, ministres, militaires…). Ce procès, qui a duré près d'un an, a marqué l'acte de naissance de la justice internationale, prolongée des décennies plus tard par la création de tribunaux pour juger des génocidaires rwandais ou des acteurs de la guerre en ex-Yougoslavie, puis par la mise en place de la Cour pénale internationale. 


Vous avez aimé cet article ? Partagez-le ...

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre commentaire sera publié après validation.