Opération Tabaski : Maguette Kamara, diplômée en ingénierie financière et…vendeuse de moutons

Blue-jean serré, baskets Nike et tee-shirt rayé, Maguette Kamara arbore un look quelque peu déjanté, lui donnant l’air d’une femme qui ne s’embarrasse pas des chichis vestimentaires qu’adorent les Sénégalaises de son âge. Nous avons trouvé cette diplômée en ingénierie financière au milieu de ses moutons, à l’intérieur d’un foirail implanté sur un terrain de football aux Parcelles Assainies, derrière le commissariat de Police.

Teint marron, cheveux en bataille et téléphone portable négligemment niché dans la poche de son pantalon, Maguette Kamara nous reçoit en toute simplicité, le sourire aux lèvres. Sa présence au foirail des Parcelles Assainies semble détonner dans ce milieu masculin, à la limite macho, qu’elle partage avec d’autres « téfankés » (vendeurs de moutons), à l’affût d’éventuels clients et à quelques jours de la Tabaski. À plus de 30 ans, cette native de Saint-Louis qui a grandi à Diamaguène-Léona, « du côté de la mosquée Mame Rawane Ngom », précise-t-elle, est une véritable touche-à-tout. Après son bac G obtenu au lycée technique André Peytavin, elle s’est inscrite en Sciences économiques et Gestion à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis où elle a décroché une Licence. « Mon diplôme en poche, je suis venue à Dakar m’inscrire dans un institut supérieur de formation en gestion et management grâce à une bourse de la mairie de Dakar. C’est là où j’ai eu mon master en Ingénierie financière », explique-t-elle.

Après son parchemin durement obtenu, Maguette Kamara croyait qu’elle allait trouver un job correspondant à ses compétences, mais elle va vite déchanter. Elle a déposé des demandes de stage, notamment à la Saed de Saint-Louis, des Cv chez des opérateurs de téléphonie et des établissements bancaires, mais n’a jamais obtenu une réponse positive. Saisie par le découragement, mais décidée à gagner honnêtement sa vie, elle lance ses propres affaires. Auparavant, elle avait travaillé comme opératrice au centre d’appel Pcci, mais démissionna après trois mois sans salaire. « Puisque j’ai tardé à avoir un boulot, je me suis alors lancée dans l’entrepreneuriat. Ainsi, en 2019, je suis allée en Côte d’Ivoire et au Mali acheter des marchandises (chemises en lin et autres articles) afin de les revendre à Dakar et gagner un peu d’argent », poursuit-elle. Pour cette année 2020 marquée par la pandémie du coronavirus et le ralentissement des affaires, elle s’est investie dans une « opération Tabaski » en vendant des moutons. Même si les clients tardent à se manifester, elle croise les doigts et pense qu’ils vont se pointer durant les derniers jours qui nous séparent de la fête.

Tremplin

Au foirail des Parcelles Assainies, Maguette Kamara attire le regard mi-amusé, mi-surpris des autres vendeurs et des clients constitués à majorité d’hommes. Mais, elle semble blasée face à tous ces curieux pas du tout habitués à voir une femme vendre des moutons, de surcroît une titulaire d’un master en Ingénierie financière. « Sur les statuts de mes pages Facebook et Whatsapp, certains amis me taquinent en me disant : Maguette, décidément tu vends tout ! D’autres pensent même que les moutons affichés ne m’appartiennent pas et que je fais juste du courtage. Quant à mes tantes, elles me disent : "yaw danga am fit" (t’as vraiment du culot), mais tout ça me fait rigoler », raconte-t-elle, derrière un éclat de rire. Depuis deux semaines qu’elle a installé ses quartiers au foirail, elle reçoit quelques clients qui, la plupart, marchandent et repartent sans acheter. « Bon nombre d’entre eux préfèrent attendre la veille de la Tabaski pour se décider. Je les comprends car, à Dakar, les gens n’ont pas assez d’espace », glisse-t-elle tout en caressant le pelage blanc d’un mouton. « Mes prix sont très abordables », nous lance-t-elle, comme un clin d’œil afin d’attirer d’éventuels clients. Pour s’approvisionner, elle a des contacts à Saint-Louis, à Tambacounda et à Matam où des éleveurs lui font parvenir les bêtes.

En attendant le grand rush de la veille de Tabaski, Maguette Kamara s’active parallèlement à son commerce de caleçons, de draps et de sous-vêtements, ce qui lui rapporte de quoi payer le loyer et faire face à quelques dépenses. Cependant, elle ne compte pas demeurer dans ces activités et espère bien, un jour, trouver un emploi correspondant à son profil d’ingénieure financière. « Je pense que l’État devrait mieux aider les diplômés à trouver un travail décent. Parfois, j’ai l’impression qu’il faut avoir un bras long, comme on dit, être pistonné pour trouver un job ou décrocher des financements. De nombreux jeunes veulent entreprendre, mais n’ont pas assez de moyens. En ces périodes difficiles, où trouver de l’argent pour nos activités ? Personnellement, j’ai tenté de me faire financer dans de nombreuses structures, mais parfois je ne reçois même pas de réponses », dit-elle, dépitée. Mais puisqu’elle a un caractère de battante, Maguette Kamara croit en son étoile et demeure persuadée qu’elle brillera un jour.

Le Soleil


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