Au Venezuela, l'économie en voie de «dollarisation» informelle

Le phénomène d’hyperinflation a fait perdre toute valeur au bolivar, la monnaie nationale vénézuélienne. Alors, peu à peu, tous les secteurs du pays se tournent vers le dollar afin d’avoir une monnaie stable. Aujourd’hui, le Venezuela vit une dollarisation de fait. Devant l’impossibilité de redresser son économie, le gouvernement ferme les yeux.

 

Dans une rue commerçante et populaire en plein cœur de Caracas, les vendeurs ambulants sont légion. Ils vendent de tout, mais ont cependant un point commun : tous leurs prix sont en dollars.

Pourtant, la monnaie officielle au Venezuela, c’est le bolivar. Oui mais voilà, le pays vit un phénomène d’hyperinflation, soit une augmentation excessive des prix depuis plusieurs années. Par exemple, en 2020, la hausse des prix a atteint 4 000%. Alors le bolivar peu à peu ne vaut plus rien.

Chadia tient un bodegon, un commerce de produits d’importation, où tous les prix sont inscrits en dollars – enfin, pas vraiment : « Alors, je vous explique. La monnaie nationale, c'est quoi ? C'est le bolivar, ok ? Nous, on met des petits panneaux avec le nom du produit et le mot "ref", la référence en dollars. Vous imaginez si nous mettions les prix en bolivars ? Le taux change tous les jours, alors il faudrait en permanence enlever les prix et les modifier ! C’est impossible. C’est pour cette raison que l’on met "ref" avec le prix en dollars. Et à l’entrée de chaque magasin, il y a le taux du jour pour que quand les clients entrent, ils se disent : "Ah, ça coûte 9 dollars, donc 9 multiplié par 4,49, c’est ce que je vais payer en bolivars." »

Du bas vers le haut

En effet, comme l’économie n’est pas réellement « dollarisée », les billets n’entrent pas facilement. C’est la guerre pour les petites coupures. Benjamin Tripier est économiste. Il explique comment se passe une réelle « dollarisation ». « Des pays comme l’Équateur, quand ils se sont "dollarisés", ils l’ont fait du haut vers le bas. Le gouvernement a passé un accord avec les États-Unis et leur Réserve fédérale. En gros, l’idée, c’est : ta Banque centrale ne fonctionne plus, la Réserve fédérale va donc se charger de ton économie monétaire. En l’étudiant de près, nous allons déterminer que le pays a besoin de tant de dollars, tant en billets de 100, tant en billets de 50, etc." »

Par contre, dans le cas du Venezuela, la pression économique fut telle qu'elle a conduit à une explosion. Il pourrait donc se produire une sorte de « dollarisation » du bas vers le haut. Le dollar comme refuge, comme référence, afin de pouvoir continuer à consommer, comme l'explique une cliente du bodegon : « Personnellement j’ai la sensation qu’en dollars, je peux continuer à me payer les mêmes choses. Cela me garantit une certaine qualité de vie. »

« Même le plus pauvre de la pointe de la pyramide reçoit des dollars »

Mais en réalité, ils ne sont pas nombreux dans le pays à avoir accès aux billets verts. « Il faut imaginer l’économie vénézuélienne comme une pyramide, poursuit Benjamin Tripier. La pointe de cette pyramide, c’est 20% de l’économie ; la partie d’en bas, ce sont les 80% restants. Tout ce qui touche au dollar ne concerne que ces 20% de la population. Mais même le plus pauvre de la pointe de la pyramide reçoit des dollars. Le voiturier d’un restaurant reçoit des dollars en guise de pourboire. Et ce monsieur, quand il rentre chez lui, il va faire entrer ses dollars dans la partie basse de la pyramide. »

Selon les derniers chiffres au Venezuela, 70% des transactions monétaires se font en dollars, tandis que 76% de la population vit en situation d’extrême pauvreté.


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