Pétrole : ce que l'élection de Joe Biden va changer

Candidat, le démocrate a pris plusieurs engagements pour limiter la pollution liée aux énergies fossiles. Mais les pétroliers ne s'inquiètent pas trop.

 

Ce fut l'un des moments un peu tendus du débat entre Donald Trump et Joe Biden, le 22 octobre. La question du pétrole arrive sur la table. Le candidat démocrate, qui sait que l'industrie de l'or noir ne lui est pas acquise, attaque bille en tête. « Je me détournerai progressivement de l'industrie pétrolière, oui […]. J'arrêterai parce que l'industrie pétrolière pollue considérablement. » Joe Biden explique que les énergies renouvelables remplaceront « au fil du temps » les fossiles. Trump jubile. Le président en exercice, qui n'a cessé de libérer le secteur d'entraves décidées par son prédécesseur Barack Obama, peut caresser son électorat dans le sens du poil. « C'est une sacrée déclaration !, rétorque le républicain. Il [Biden, NDLR] détruit l'industrie pétrolière. Est-ce que vous vous en souviendrez au Texas ? Est-ce que vous vous en souviendrez en Pennsylvanie, dans l'Oklahoma, dans l'Ohio ? »

Le vote des mineurs, et sans doute d'une bonne partie de l'industrie pétrolière, n'a pas suffi à Trump. Mais Biden va-t-il tenir ses promesses de campagne ? La question de l'énergie est ô combien sensible aux États-Unis, où le secteur emploie quelque dix millions de personnes, selon une étude de PricewaterhouseCoopers. Durant sa campagne, Joe Biden a dû composer avec deux obligations : d'un côté, le besoin de ne pas trop froisser ce vivier d'électeurs ni d'abîmer cette économie importante, de l'autre, la nécessité de tenir compte de l'aile gauche du Parti démocrate, soucieuse d'en finir avec les énergies carbonées. « Il y a ce qui est avouable, le climat, et ce qui l'est moins, la préservation de l'industrie pétrolière, pourvoyeuse de millions d'emplois », observe Maxence Cordiez, spécialiste de l'énergie et auteur d'un article très documenté sur le sujet publié sur le site Connaissance des énergies.

Déréglementation tous azimuts

Biden est évidemment sensible à la question environnementale. Il a promis que dès son entrée à la Maison-Blanche, les États-Unis réintégreraient l'accord de Paris signé lors de la COP21, fin 2015. Mais Joe Biden fut aussi le vice-président de Barack Obama, sous les mandats duquel la production de gaz et de pétrole de schiste a explosé aux États-Unis. Grâce à cette ressource non conventionnelle, le pays est devenu le premier producteur de pétrole au monde, acquérant une quasi-indépendance énergétique. Quant à ses champions nationaux, tels ExxonMobil et Chevron, ils font le dos rond durant la crise et continuent à investir dans les énergies non conventionnelles. En juillet, Chevron n'a-t-il pas mis 13 milliards de dollars sur la table pour racheter Nobel Energy, un important acteur du pétrole de schiste ?

Du bureau Ovale, Biden ne se lancera sans doute pas dans une croisade contre le secteur. « Il sait évidemment que le pétrole et le gaz sont essentiels à l'économie du pays », observe Francis Perrin, chercheur associé au Policy Center for the New South et directeur de recherche à l'Iris. De toute façon, si le futur président attaquait trop frontalement les intérêts des pétroliers, il trouverait sur sa route le Sénat, encore aujourd'hui à majorité républicaine. Sa vice-présidente semble sur la même ligne. À plusieurs reprises durant la campagne, Kamala Harris a annoncé que la fracturation hydraulique, grâce à laquelle la ressource est extraite de la roche mère, ne serait pas remise en cause, malgré la pollution qu'elle engendre.

Le candidat Biden a toutefois assuré durant la campagne qu'il reviendrait sur la déréglementation tous azimuts imposée par Trump en faveur des énergies fossiles. La surveillance des fuites de méthane sur les pipelines pourrait ainsi être renforcée, et le torchage, qui permet de brûler les gaz lors de l'extraction du pétrole, limité. « Les pétroliers savent qu'ils vont perdre des plumes, ils y sont résignés », note Francis Perrin.

Un geste vers l'Iran ?

Il y a toutefois un point qui les hérisse, et contre lequel ils vont lancer leurs lobbyistes : l'État fédéral pourrait cesser de délivrer de nouveaux permis d'exploitation sur ses terres, dont le potentiel en ressources est grand. Cette annonce, martelée par Biden sous l'influence de l'aile gauche du Parti démocrate, n'est pas bonne pour le business. C'est tout leur avenir qui est en jeu, puisque les puits de pétrole non conventionnels s'épuisent vite. Il faut sans cesse investir, et forer. Ils avaient donc anticipé cette interdiction, qui sera sans nul doute mise en œuvre par Biden, en multipliant les demandes de permis avant l'élection… « Les pétroliers vont vouloir que l'administration Biden revienne sur ce point. Ce sera un enjeu prioritaire », assure Francis Perrin.

Sur le plan international, les effets de la présidence Biden sont plus difficiles à évaluer. Outre la réintégration dans l'accord de Paris, Biden a assuré que les États-Unis pourraient faire un geste en direction de l'Iran, commercialement sanctionné par Trump. Les exportations de pétrole iranien, notamment, sont gravement affectées. Mais, au préalable, Biden souhaite que Téhéran respecte l'ensemble des engagements consignés dans l'accord portant sur le nucléaire iranien, signé à Vienne en 2015, et dont Trump est sorti en 2018. « La balle est dans le camp de l'Iran », note le chercheur de l'Iris.

Une reprise progressive de la production et des exportations du brut iranien n'arrangerait guère les pays producteurs, puisque le cours du baril de brent est toujours atone (il évolue ces jours-ci autour de 44 dollars le baril). Les pays membres de l'Opep ont d'ailleurs une autre priorité en tête : ils se réunissent début décembre à Vienne pour décider, avec notamment la Russie, s'ils continuent à réduire leur production afin de soutenir les cours. Pour faire leur choix, ils auront à l'esprit un facteur bien plus important que l'arrivée de Biden à la Maison-Blanche : les effets sur l'économie du Covid.


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