La banque centrale relève fortement son taux directeur

La réunion jeudi du comité de politique monétaire de la banque centrale, la première depuis l'arrivée de M. Agbal, était perçue comme un test de crédibilité pour cette institution dont l'indépendance est mise en doute par les marchés.

Le quartier général de la banque centrale turque dans la capitale Ankara, le 19 avril 2015. Photo d'archives Reuters/Umit Bektas

 

La Banque centrale de Turquie a relevé jeudi son principal taux directeur de 475 points de base, à 15%, répondant à l'attente d'un changement de politique monétaire après des chamboulements dans l'équipe économique du président Recep Tayyip Erdogan. Cette spectaculaire hausse intervient après le double remplacement début novembre du ministre des Finances Berat Albayrak, gendre du président, par Lütfi Elvan, et du gouverneur de la banque centrale Murat Uysal, par Naci Agbal.

La réunion jeudi du comité de politique monétaire de la banque centrale, la première depuis l'arrivée de M. Agbal, était perçue comme un test de crédibilité pour cette institution dont l'indépendance est mise en doute par les marchés. Ces derniers réclamaient depuis plusieurs mois une hausse significative des taux de la banque centrale pour enrayer l'inflation, mais l'institution les avait au contraire plusieurs fois baissés, sous la pression de M. Erdogan.

Signe de la satisfaction des milieux économiques après l'annonce de la banque centrale jeudi, la livre turque a bondi de 2% face au dollar, avant de se stabiliser à environ 7,60 contre un billet vert à 12H00 GMT. Après les changements dans son équipe, M. Erdogan a promis qu'une "nouvelle ère" allait s'ouvrir, s'engageant à améliorer l'état de droit et prendre les mesures nécessaires pour redresser l'économie, quitte à boire des "potions amères". Jeudi, la banque centrale s'est engagée à mettre en oeuvre un "resserrement monétaire transparent et vigoureux" pour combattre l'inflation, qui s'élevait en octobre, en glissement annuel, à 11,89%.

"Excellent début"

La hausse des taux décidée jeudi par la banque centrale "semble être suffisante pour convaincre les investisseurs qu'un réel changement d'orientation de la politique économique dans le bon sens est en cours", a estimé dans une note le cabinet Capital Economics, qui tablait sur une hausse de 450 points de base.

M. Agbal "fait le travail, c'est un excellent début de mandat à la tête de la banque centrale turque", s'est réjoui Timothy Ash, analyste à BlueBay Asset Management. "C'est une décision tout à fait juste et logique", a-t-il ajouté. La livre turque, qui s'est fortement érodée depuis 2016, s'est spectaculairement redressée ces derniers jours, reflétant l'espoir d'un retour à une politique économique plus orthodoxe après le départ de M. Albayrak.

Bombardé ministre des Finances en 2018, ce dernier n'a pas su convaincre les milieux d'affaires qui lui reprochaient son manque d'expérience pour extirper la Turquie des difficultés: forte inflation, chômage élevé (13,2% en août) et érosion de la livre qui s'échangeait à 4,5 contre un dollar à sa prise de fonction. Dans ce contexte, l'économie, qui était autrefois le point fort de M. Erdogan, est devenue la cause de revers électoraux inédits: lors d'un scrutin municipal l'an dernier, l'opposition a raflé Istanbul et Ankara.

Allergie d'Erdogan

Ces derniers mois, face à l'opposition farouche de M. Erdogan à toute hausse des taux, la banque centrale avait utilisé d'autres outils pour discrètement renchérir les coûts de financement et soutenir la livre, ajoutant de la confusion à l'opacité.

Sous les mandats de MM. Albayrak et Uysal, la banque centrale a notamment puisé sans compter dans ses réserves en devises étrangères pour maintenir la livre à flot, sans y parvenir, réduisant ainsi sa capacité à répondre à d'éventuels chocs. Dans son communiqué jeudi, la banque centrale a promis plus de clarté, affirmant que le taux directeur redeviendrait son "principal instrument et le seul indicateur de la politique monétaire", signe d'orthodoxie pour les marchés.

La question que se posent désormais nombre d'investisseurs est de savoir si la banque centrale parviendra à s'affranchir durablement de l'allergie de M. Erdogan à la hausse des taux d'intérêt, qu'il qualifie de "père et mère de tous les maux". Le président soutient notamment que l'inflation est causée par des taux d'intérêt élevés, alors que les théories économiques classiques affirment l'inverse. D'ailleurs, M. Erdogan s'est une nouvelle fois emporté mercredi contre les taux élevés, estimant qu'ils "écrasent les investisseurs".


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