En Inde, la pandémie profite aux musiciens indépendants

Bollywood domine le marché indien de la musique mais, avec le nouveau coronavirus, les producteurs ont suspendu les sorties de films, laissant la place aux indépendants.

La jeune artiste de hip hop Palak Parnoor Kaur, "Lil Malai" pour la scène, lors de l'enregistrement d'un clip vidéo, le 3 novembre 2020 à Bombay INDRANIL MUKHERJEE AFP

 

Pour les musiciens indépendants en Inde, la pandémie a permis d'échapper un temps à l'emprise de Bollywood pour se risquer en direct devant le public.

Bollywood domine le marché indien de la musique mais, avec le nouveau coronavirus, les producteurs ont suspendu les sorties de films, laissant la place aux indépendants.

Grâce à son succès en ligne pendant le confinement très strict de mars à juin, le téléphone de Carlton Braganza, 48 ans, ne cesse de sonner depuis des semaines.

 

Ce musicien de Bangalore (sud) a passé ses nuits confinées, en ligne avec son public, chantant à la demande des titres de tous genres depuis sa petite chambre, attirant des dizaines de milliers de fans.

"Je me suis produit 70 nuits d'affilée sur Facebook, en répondant aux demandes du public", raconte-t-il.

Avec 1,5 million de vues sur Facebook et 125 représentations en ligne, il a rassemblé chaque nuit un millier de personnes, ce qui lui vaut aujourd'hui des engagements pour des soirées privées ou des salles de concert alors que s'assouplissent les restrictions.

- "Contenus originaux" -

La jeune artiste de hip hop Palak Parnoor Kaur, "Lil Malai" pour la scène, a aussi constaté l'augmentation du nombre de spectateurs en ligne. Ses vidéos, produites avec une GoPro depuis 2018, qui évoquent les préoccupations des jeunes, ont trouvé leur public sur Instagram et YouTube.

"Les artistes indépendants remplissent le vide créé par l'absence de musique de Bollywood avec leurs contenus originaux et naturels dont le public peut se sentir proche. Maintenant, il est plus conscient de notre existence", confie cette habitante de Bombay (ouest).

La plateforme de streaming audio JioSaavn, propriété de l'homme le plus riche d'Asie, Mukesh Ambani, confirme le phénomène.

"Ces derniers mois, on a vu nos playlists les plus écoutées changer, avec 25 des 30 titres du hit-parade hebdomadaire sans lien avec le cinéma", indique la plateforme.

La croissance en Inde de labels indépendants, comme les américains CD Baby ou Tunecore, a facilité la diffusion de musique en ligne.

Les experts du secteur avertissent toutefois que Bollywood reprendra vite le dessus avec la reprise des sorties de films à partir de novembre.

"Le public pourrait tout simplement retourner à la musique de Bollywood et les oeuvres hors cinéma couleraient", estime Priyak Dhar, rédacteur en chef à MusicPlus.in.

D'autres soulignent la réalité économique des mises en ligne gratuites. "Il y a trop de musique numérique et c'est très difficile de se distinguer", observe Merlin D'Souza, agent de jeunes artistes. "Des tonnes de musique libre d'accès peuvent peser sur les perspectives d'un artiste (...) Ce modèle n'est pas viable sans exclusivité".

Pour Atul Churamani, directeur exécutif du label Turnkey, beaucoup d'artistes se battent pour survivre, même si la pandémie les a aidés à se faire connaître sur les réseaux sociaux, car "les concerts en ligne sont gratuits".

- "Dule Rocker" -

En avril, Duleshwar Tandi - "Dule Rocker" de son nom de rappeur - a diffusé des vidéos devenues virales évoquant les millions de migrants pris de court par le confinement. A 27 ans, l'ancien serveur est devenu célèbre.

Tournées avec son téléphone portable depuis la hutte en terre où il vit avec sa mère dans un village de l'Orissa (est), ses vidéos s'en prenaient à l'apathie gouvernementale à l'égard des pauvres.

"Quand le confinement a été imposé, ma famille s'est retrouvée au bord de la famine, il n'y avait ni travail ni argent", se souvient ce jeune dalit (la communauté des "opprimés", autrefois qualifiés d' "intouchables").

"J'ai commencé à rapper pour canaliser ma colère envers le système gouvernemental et la réponse a été forte".

"Dule Rocker" a refusé des offres de l'industrie du cinéma car, dit-il, il se refuse à "écrire de la musique rap qui transforme les femmes en objets".

Mais par un tour du destin digne de Bollywood, il prépare un album pour le géant américain Universal. "Je veux apporter des changements à la manière dont la société regarde la pauvreté", assure-t-il.


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